Options de recherche
Page d’accueil Médias Notes explicatives Recherche et publications Statistiques Politique monétaire L’euro Paiements et marchés Carrières
Suggestions
Trier par

Réformes structurelles, inflation et politique monétaire

Discours d’ouverture de M. Mario Draghi, président de la BCE,Forum de la BCE consacré à l’activité de banque centraleSintra, le 22 mai 2015

***

Résumé

Les politiques structurelles et conjoncturelles, y compris la politique monétaire, sont largement interdépendantes. Les réformes structurelles renforcent tant la croissance potentielle que la capacité de résistance de l’économie aux chocs. Elles sont donc importantes pour toute banque centrale, mais davantage encore dans une union monétaire.

Pour les différents participants à l’union monétaire, la capacité de résistance est cruciale pour éviter que les chocs n’entraînent un chômage durablement plus élevé et, avec le temps, des divergences économiques permanentes. Elle pèse donc directement sur la stabilité des prix et est tout aussi importante pour l’intégrité de la zone euro. C’est pourquoi la BCE appelle régulièrement à une gouvernance commune resserrée des réformes structurelles qui placerait la capacité de résistance au cœur de nos préoccupations communes.

Les réformes structurelles sont tout aussi cruciales s’agissant de leurs retombées en termes de croissance. La croissance potentielle au sein de la zone euro est estimée actuellement à moins de 1 % et devrait rester nettement en deçà des taux de croissance d’avant la crise. Il en résulterait qu’une part importante des pertes économiques subies pendant la crise deviendraient permanentes, le chômage structurel demeurant supérieur à 10 % et le chômage des jeunes élevé. La réduction du surendettement encore observé dans certains pays s’en trouverait elle aussi entravée. Enfin, une faible croissance potentielle peut avoir une influence directe sur les instruments de politique monétaire disponibles, car la probabilité est plus grande que la banque centrale atteigne le niveau plancher des taux d’intérêt et doive recourir de façon répétée à des politiques non conventionnelles pour remplir son mandat.

Mais les faibles performances économiques de long terme de la zone euro peuvent aussi offrir une chance à cet égard. De nombreuses économies étant assez éloignées des meilleures pratiques, il est plus facile d’obtenir des bienfaits - qui plus est plus importants - des réformes structurelles. La zone euro se caractérise par un grand potentiel inexploité en vue d’une croissance, d’un niveau d’emploi et d’un bien-être significativement supérieurs. Et ce n’est pas parce que la politique monétaire a atteint un niveau plancher de taux d’intérêt et parce que la reprise reste fragile que l’on peut, comme le souhaitent certains, reporter les réformes.

En effet, les coûts et les bienfaits à court terme des réformes dépendent fondamentalement de la manière dont elles sont mises en œuvre. Les retombées positives de réformes structurelles crédibles peuvent se faire sentir rapidement, même dans un contexte de demande atone. Il en va de même des réformes soigneusement sélectionnées. En outre, grâce au caractère accommodant de notre politique monétaire, les bienfaits des réformes se concrétiseront plus vite, créant les conditions idéales de leur succès. C’est la combinaison de ces politiques d’offre et de demande qui permettra d’obtenir une stabilité et une prospérité durables.

***

Dans toutes les conférences de presse qui ont eu lieu depuis que je suis devenu président de la Banque centrale européenne (BCE), ma déclaration introductive s’est toujours terminée par un appel en faveur d’une accélération des réformes structurelles en Europe. Ce même message a été également transmis à maintes reprises par mes prédécesseurs, dans trois quarts de toutes les conférences de presse tenues depuis l’introduction de l’euro. Le terme de « réformes structurelles » est mentionné dans approximativement un tiers de tous les discours prononcés par différents membres du Directoire de la BCE. À titre de comparaison, il apparaît dans seulement 2 % environ des discours prononcés par les gouverneurs du Système fédéral de réserve.

Si nous attachons une attention particulière aux réformes structurelles, ce n’est pas parce que celles-ci ont été ignorées ces dernières années. Au contraire, beaucoup de choses ont été accomplies et nous avons salué les progrès réalisés dans certains pays, y compris ici au Portugal. Si nous évoquons régulièrement les réformes structurelles, c’est parce que nous savons qu’un retour durable à la stabilité et la prospérité ne repose pas uniquement sur des politiques conjoncturelles, parmi lesquelles la politique monétaire, mais aussi sur des politiques structurelles. Les deux sont largement interdépendantes.

En ouvrant ce jour à Sintra notre forum annuel, j’aimerais, dans un premier temps, expliquer ce que nous entendons par réformes structurelles et pourquoi la mise en œuvre de celles-ci présentent un intérêt légitime et pressant pour la banque centrale. Puis, dans un second temps, souligner pourquoi il n’y a aucune raison de reporter les réformes structurelles au cours des premières phases d’une reprise conjoncturelle ; c’est en réalité l’occasion de les accélérer.

L’importance des réformes structurelles

Selon moi, les réformes structurelles peuvent être définies comme des politiques qui modifient durablement et de manière positive l’économie du côté de l’offre. Cela signifie qu’elles ont deux effets principaux.

D’une part, elles renforcent la croissance du PIB potentiel, soit en augmentant les consommations intermédiaires – l’offre et la qualité de la main-d’œuvre et le volume de capital par travailleur –, soit en assurant une utilisation plus efficace de ces intrants, c’est-à-dire en améliorant la productivité globale des facteurs (PGF). D’autre part, elles améliorent la capacité de résistance des économies aux chocs en facilitant la flexibilité des prix et des salaires ainsi qu’une prompte réallocation des ressources au sein de chaque secteur et entre les secteurs.

Ces deux effets sont complémentaires. Une économie dont le rebond est plus rapide après un choc est une économie dont la croissance est plus forte dans le temps dans la mesure où elle subit des effets plus faibles d’hystérèse. Généralement, les mêmes réformes structurelles augmenteront à la fois la flexibilité à court terme et la croissance à long terme.

À titre d’exemple, les réformes visant à encourager la réallocation des ressources contribueront non seulement à accélérer l’adaptation mais aussi à accroître la productivité en améliorant l’efficacité de l’allocation [1]. Les réformes destinées à renforcer la compétitivité favoriseront non seulement une meilleure flexibilité des prix mais aussi une hausse des investissements, les jeunes entreprises pouvant conquérir de nouveaux marchés et enregistrer une croissance plus rapide [2].

Un ensemble exhaustif de réformes structurelles aura par conséquent tendance à accroître non seulement la capacité de résistance mais aussi la croissance. Il s’agit de toute évidence de questions auxquelles chaque banque centrale s’intéresse de près. Cela est particulièrement vrai pour la banque centrale d’une union monétaire, et plus encore dans le contexte actuel. Permettez-moi d’expliquer pourquoi.

Augmenter la capacité de résistance aux chocs

En termes de résistance, la capacité de chaque économie d’une union monétaire à s’adapter rapidement en cas de choc est essentielle pour la stabilité des prix et, dans le temps, pour la viabilité à long terme de l’union.

De fait, face à un choc négatif sur la demande, une économie plus flexible aura tendance à réagir en abaissant immédiatement les prix mais les agents tableront alors sur une nouvelle hausse de l’inflation lorsque le choc s’atténuera, garantissant un ancrage solide des anticipations d’inflation. En revanche, une économie rigide sera plus susceptible de s’adapter par le biais d’un chômage accru, ce qui exercera des pressions à la baisse plus prolongées sur l’inflation et, par conséquent, devrait peser sur les anticipations d’inflation. Cela peut entraîner, à son tour, une hausse des taux d’intérêt réels et aggraver les effets du choc.

Dans le cas d’un seul pays, la banque centrale pourrait répondre directement à un tel effet de contraction. Au sein d’une union monétaire, la politique monétaire ne peut être adaptée aux évolutions de certains pays en particulier. Il n’existe pas non plus de dispositifs de transfert budgétaire de grande ampleur entre pays de la zone euro qui pourraient jouer un rôle compensateur de soutien à la demande. Cela signifie que les économies dont la flexibilité est insuffisante risquent une désinflation plus prolongée, un chômage durablement plus élevé et, avec le temps, des divergences économiques permanentes.

La façon dont les différents pays de la zone euro ont réagi à la crise confirme ce point. Dans les économies en difficulté, les rigidités des marchés du travail et des biens et services ont contribué à un processus d’ajustement plus douloureux, reposant au départ davantage sur un resserrement de la demande que sur une réduction des coûts par rapport à d’autres économies, quoique des différences existent entre les pays en fonction de leur degré initial de flexibilité (cf. graphique 1) [3]. En conséquence, nous sommes à présent dans une situation où le taux de chômage diverge sensiblement d’un pays à l’autre de la zone euro (cf. graphique 2).

Cela pèse directement sur la stabilité des prix : la lenteur de l’ajustement a contribué à la désinflation prolongée enregistrée depuis 2011 et à la plus grande fragilité des anticipations d’inflation. Mais cela présente aussi un intérêt pour la BCE de par ses effets sur l’intégrité de la monnaie. À l’instar de toute union politique, la cohésion de la zone euro dépend du fait que chaque pays profite en permanence de son appartenance à l’union monétaire. La convergence est par conséquent essentielle pour consolider l’union, les divergences permanentes qui résultent de l’hétérogénéité structurelle produisant pour leur part l’effet inverse.

C’est la raison pour laquelle le fait que toute économie nationale soit suffisamment flexible devrait être accepté comme faisant partie de notre ADN commun. Il convient d’en faire une caractéristique économique permanente qui accompagne une participation à la zone euro, tout comme les critères de Copenhague sont des données politiques permanentes d’une adhésion à l’Union européenne.

Dès lors, comme je l’ai déclaré à plusieurs reprises, je pense que des arguments solides plaident en faveur d’une gouvernance commune des réformes structurelles au niveau de la zone euro : afin d’aider chaque pays à atteindre le niveau de résistance nécessaire et s’assurer qu’il maintient cette capacité de résistance de manière permanente [4]. Puisque les réformes structurelles de chaque pays de la zone euro constituent un intérêt légitime de l’ensemble de l’union, une appropriation accrue de ces réformes est nécessaire, non seulement au niveau national mais aussi au niveau européen.

Dans plusieurs pays, des progrès significatifs ont été cependant réalisés dans la mise en œuvre de réformes structurelles pendant la crise et nous pouvons déjà voir comment cela a modifié le rapport entre l’inflation et le chômage. Selon différentes estimations de la courbe de Phillips dans la zone euro, la pente a varié dans le temps et s’est accentuée au cours des dernières années. Certains éléments indiquent notamment que l’inflation est devenue plus réactive aux conditions conjoncturelles dans les pays ayant procédé à la réforme de leurs marchés du travail et des biens et services, tels que l’Espagne [5] et l’Italie [6].

Accroître la croissance potentielle

Outre cette question de la capacité de résistance, les réformes structurelles nous intéressent également directement en tant que banque centrale de la zone euro. Cela est lié à leurs effets sur la croissance, ou plus précisément aux défis posés par une période de faible croissance potentielle.

D’après les prévisions établies par les institutions internationales, la croissance potentielle est actuellement inférieure à 1 % dans la zone euro contre plus de 2 % aux États-Unis (cf. graphique 3) [7]. Cela est d’une part le résultat des effets de la crise sur les investissements et, par hystérèse, du chômage structurel. Cela reflète également la faiblesse des tendances sous-jacentes de la croissance de la productivité et de l’offre de travail. Par conséquent, alors que certains effets de la crise sur les investissements et l’emploi devraient se dissiper, la croissance potentielle devrait rester bien inférieure aux taux enregistrés avant la crise.

Pour au moins trois raisons, cela pose problème.

Premièrement, cela signifierait que l’écart de production s’établirait à un niveau de production nettement inférieur, auquel cas la politique monétaire devrait retrouver une orientation plus neutre (cf. graphique 4). Une part significative des pertes économiques subies dans les différents pays deviendrait alors permanente. Le chômage structurel se maintiendrait à environ 10 %. Le chômage des jeunes resterait également élevé, entraînant des effets dévastateurs pour certains susceptibles de souffrir de l’« effet cicatrice » [8]. La société dans son ensemble en serait affectée à terme car, étant donné le contexte démographique, tirer parti du potentiel des jeunes et de leur capacité d’innovation est essentiel pour la soutenabilité à long terme.

Deuxièmement, dans une situation de croissance potentielle durablement faible, il sera encore plus difficile de faire face à l’endettement excessif qui existe encore dans certaines parties de la zone euro. Pour les entreprises qui se sont endettées sur la base des anticipations de croissance d’avant la crise, le bas niveau de croissance potentielle constitue un obstacle majeur à de nouveaux investissements dans la mesure où les bénéfices générés serviront probablement à assurer le service de leurs dettes existantes. Certains signes indiquent que cela a été le cas dans la zone euro : il existe une nette corrélation négative entre les niveaux de la dette rapportée au PIB dans les différents pays au début de la crise et l’évolution de l’investissement depuis.

Troisièmement, une faible croissance potentielle peut avoir une influence directe sur les instruments de politique monétaire disponibles pour remplir son mandat. En effet, une faible croissance potentielle implique un taux d’intérêt réel d’équilibre plus bas, ce qui signifie que, dans le cas d’un écart de production négatif, les taux directeurs nominaux doivent être encore plus bas afin de ramener la production vers son potentiel. Il est alors très probable que la politique de la banque centrale se heurte aux contraintes imposées par le plancher effectif des taux d’intérêt qui s’établit à un niveau à peine en-dessous de zéro. La nécessité de recourir de façon répétée à des politiques non conventionnelles pour remplir notre mandat est alors encore plus probable.

Lorsque nous avons précisé, en 2003, notre objectif de maintenir l’inflation à un niveau inférieur à, mais proche de 2 %, nous nous étions basés sur un taux d’intérêt réel d’équilibre de 2 % en moyenne [9]. La probabilité d'atteindre le plancher effectif était dans cette hypothèse très faible. Aujourd'hui, des indicateurs imparfaits du taux réel d'équilibre, tels que les taux réels anticipés à long terme, laissent penser qu'il aurait pu atteindre des niveaux encore beaucoup plus bas. Dans ce contexte, une croissance potentielle supérieure faciliterait la réalisation de l'objectif de stabilité assigné à la politique monétaire en permettant une hausse du taux réel d'équilibre.

Le potentiel inexploité de la zone euro

Pour toutes ces raisons, les réformes structurelles qui infléchissent la dérive baissière de la croissance potentielle sont désormais d’une importance vitale pour la zone euro. Et c’est la raison pour laquelle, en notre qualité de gardien de la monnaie, en parler présente pour nous un intérêt légitime. Nous devons toutefois reconnaître que nos faibles performances économiques de long terme offrent aussi une chance à cet égard. De nombreuses économies étant assez éloignées des meilleures pratiques, du moins dans certains domaines, il est plus facile d’obtenir des bienfaits - qui plus est plus importants - des réformes structurelles.

Pour ne citer qu’un exemple, des études de l’OCDE suggèrent qu’une convergence résolue vers de meilleures pratiques sur les marchés du travail et des biens et services, en matière de politique fiscale et de retraites contribuerait au bout de dix ans à une hausse du PIB par tête d’environ 11 % pour le pays moyen de l’UE. Aux États-Unis, dont la situation initiale est plus favorable, le gain serait inférieur à 5 %. [10]

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les avantages des réformes seraient si importants dans la zone euro. Étant donné les niveaux élevés du chômage structurel, auxquels s’ajoutent le grand nombre de personnes en situation de sous-emploi et de travailleurs découragés, nos économies risquent d’être confrontées à un choc positif majeur d’offre de main-d’œuvre (cf. graphique 5). Nous disposons également d’une marge de manœuvre pour réaliser un processus de rattrapage de grande ampleur en matière de croissance de la productivité. La PGF a progressé de seulement 1,5 % entre 2000 et 2014 dans la zone euro, un taux bien inférieur à celui de 10,9 % enregistré aux États-Unis au cours de la même période (cf. graphique 6).

Le type de politiques susceptibles de provoquer un choc à la hausse sur la croissance potentielle ne se limite pas à celles axées sur la flexibilité des prix. Elles englobent, du côté de l’offre de main-d’œuvre, les politiques visant à apporter aux chômeurs de longue durée un soutien à la recherche d’un emploi et à améliorer la qualification des travailleurs peu qualifiés. S’agissant de la PGF, les politiques qui favorisent la réallocation des ressources, qui pourrait être substantielle dans la zone euro étant donné la distribution large et asymétrique entre les entreprises les plus et les moins productives [11] (cf. graphique 7), et les politiques qui accélèrent la diffusion des nouvelles technologies, un domaine dans lequel la zone euro est dans l’ensemble en retard sur les États-Unis (cf. graphique 8).

Les exemples ne manquent pas. Il convient cependant de noter que dans la zone euro, actuellement, les réformes structurelles n’ont pas pour objet de générer des gains d’efficacité mineurs ou des gains marginaux. Elles visent à libérer un potentiel inexploité en vue d’une croissance, d’un niveau d’emploi et d’un bien-être significativement supérieur. Dans le contexte actuel, cela jouerait un rôle essentiel en permettant que la reprise conjoncturelle en cours devienne une reprise structurelle plus forte.

Les réformes structurelles dans un environnement caractérisé par la fragilité de la demande

La discussion portant sur l’importance des réformes structurelles débouche en principe sur une seule conclusion : le plus tôt elles sont mises en œuvre, mieux cela vaut.

Toutefois, alors que la plupart d’entre nous partagent sans doute cette opinion en temps normal, le fait que les taux d’intérêt ont atteint leur plancher effectif, conjugué à la conjoncture encore fragile, rend la situation plus compliquée. En particulier, une question a été soulevée : la mise en œuvre de réformes structurelles alors que l’économie demeure faible irait-elle à l’encontre du but recherché, en ce sens qu’elle rendrait plus difficile l’accomplissement de notre mandat en réduisant encore la demande à court terme ?

L’un des arguments avancés dans ce contexte porte sur le fait que, si les réformes se traduisent par une progression crédible de l’offre globale, elles exerceront des pressions à la baisse sur les anticipations d’inflation. Et si les taux d’intérêt nominaux ne peuvent baisser parce qu’ils ont atteint leur niveau plancher, les taux d’intérêt réels augmenteront, créant des effets à court terme restrictifs [12].

Un autre argument en faveur du report des réformes structurelles concerne leurs effets à court terme sur l’emploi. Le raisonnement est le suivant : les réformes mises en œuvre au creux du cycle ou à un stade trop précoce de la reprise sont susceptibles d’accroître l’insécurité en matière d’emploi parmi les salariés, ce qui peut engendrer une progression de l’épargne de précaution et réduire par là la consommation. Certains facteurs tels que l’atonie du marché de l’immobilier amplifieraient ces effets en entravant la mobilité géographique et la réallocation des ressources [13].

Ces préoccupations s’appuient sur certaines données empiriques. Il ressort de certaines études que les réformes augmentant la flexibilité de l’emploi, telles que la réduction de la protection de l’emploi, sont davantage susceptibles de peser sur la demande lors du recul de l’activité [14]. Toutefois, je réfuterais la conclusion selon laquelle il convient dès lors de remettre à plus tard l’ensemble des réformes structurelles.

La raison réside dans le fait que l’incidence à court terme des réformes structurelles ne dépend pas seulement du calendrier de leur mise en œuvre, mais aussi des modalités – à savoir, de la crédibilité des réformes, du type de réformes et de leur interaction avec d’autres mesures de politique économique. Et si les réformes structurelles sont bien conçues, respectant ces paramètres, elles peuvent avoir une incidence essentiellement neutre, voire positive, sur la demande à court terme – et ce même dans une situation conjoncturelle défavorable.

La crédibilité des réformes

En premier lieu, si les réformes sont crédibles, leurs effets positifs sur la demande à court terme, par le biais de la confiance, peuvent compenser, et au-delà, tout effet négatif sur l’inflation à travers une augmentation de l’offre.

Cela s’explique par le fait que, pour les entreprises, une hausse de la croissance potentielle implique des recettes attendues plus importantes et une rentabilité future plus élevée, ce qui devrait les inciter à anticiper leurs investissements. Et l’investissement, ne l’oublions pas, fait progresser l’offre demain et la demande aujourd’hui. Par conséquent, il ne peut en aucun cas s’entendre comme étant préjudiciable à notre objectif de politique monétaire.

Une logique similaire s’applique aux ménages et à leur revenu perçu au long du cycle de vie. Les réformes qui augmentent les anticipations de revenus au long du cycle de vie devraient soutenir immédiatement la consommation actuelle. Je ne citerai qu’un exemple illustrant cet effet : un allongement de l’âge de la retraite devrait faire progresser non seulement l’offre à moyen terme, en accroissant la population active, mais aussi la demande à court terme en réduisant la nécessité de constituer une épargne de précaution dans la perspective de la retraite.

Mais la crédibilité est essentielle pour déterminer la rapidité avec laquelle ces effets positifs se matérialisent. S’il existe des incertitudes concernant le calendrier de mise en œuvre des réformes, ou l’engagement des gouvernements successifs à les maintenir, les entreprises et les ménages auront besoin de davantage de temps pour ajuster leurs anticipations et les effets positifs des réformes seront différés [15]. En outre, si les réformes ne sont pas perçues comme étant soutenables dans des conditions très diverses – par exemple, si une réforme des retraites n’est pas réaliste à long terme –, les agents anticiperont un infléchissement à l’avenir et s’abstiendront de modifier leur comportement aujourd’hui.

Nous avons utilisé notre modèle intitulé Euro Area and Global Economy (EAGLE) [16] pour analyser, dans un pays de la zone euro de taille moyenne, l’effet de la crédibilité et d’une mise en œuvre rapide [17] – en l’occurrence d’une réforme structurelle dans le secteur des services – et nous constatons que les effets positifs des réformes se font clairement sentir par anticipation, même lorsque la marge de manœuvre de la politique monétaire est limitée par la borne zéro des taux d’intérêt (cf. graphique 11). Cela constitue une puissante justification de la mise en œuvre des réformes de manière résolue, crédible et cohérente [18]. Une telle approche revêt une importance encore plus grande si l’on veut que les réformes aient des effets positifs à court terme dans l’environnement particulier que nous connaissons actuellement.

À l’issue de sept années de crise marquées par plusieurs embellies éphémères, les entreprises et les ménages sont devenus plus hésitants lorsqu’il s’agit de prendre un risque économique. Cela apparaît dans le fait que les anticipations de croissance à moyen terme des prévisionnistes se sont orientées à la baisse durant cette période, alors que la distribution des résultats possibles s’élargissait (cf. graphique 9). Dans ce contexte incertain, la crédibilité est essentielle, dans la mesure où la force du signal envoyé par les réformes détermine encore plus puissamment l’ampleur des effets positifs à court terme.

Le type de réformes

Toutefois, ces effets positifs à court terme peuvent aussi être maximalisés en choisissant soigneusement le type de réformes à mettre en œuvre. Bien évidemment, la manière dont les réformes structurelles influencent l’économie est un processus complexe, mais les observations montrent que ces effets positifs peuvent être amplifiés si les réformes sont bien conçues, constituent un ensemble cohérent et sont bien ordonnancées [19], l’accent devant être mis sur les mesures qui réduisent les coûts à court terme au minimum.

À titre d’exemple, l’expérience faite par l’Allemagne pendant la crise montre que les réformes visant à réaliser l’ajustement par la marge intensive – c’est-à-dire le temps de travail et les salaires – sont moins susceptibles d’avoir des effets à court terme négatifs que celles qui opèrent par la marge extensive – c’est-à-dire les licenciements [20]. Cette thèse est confortée par les études microéconomiques récentes de l’Eurosystème dont il ressort que, pour un large échantillon de pays, les entreprises faisant preuve de flexibilité au niveau des usines ont réduit l’emploi, lors de la crise, dans des proportions moindres que celles qui étaient liées par des accords salariaux négociés au niveau des organismes centraux, grâce en partie à leur capacité à ajuster les salaires aux conditions économiques [21].

En outre, si les réformes sont axées spécifiquement sur les frictions qui freinent la demande d’investissements, leurs effets à court terme devraient être largement positifs, même au point le plus bas du cycle. À titre d’exemple, on peut s’attendre à ce que les réformes orientées vers les secteurs caractérisés par une forte demande non satisfaite, tels que les services professionnels et le commerce de détail, induisent une réponse rapide en termes d’investissement [22]. De fait, nos simulations EAGLE montrent que les bienfaits à court terme des réformes structurelles mises en œuvre dans le secteur des services apparaissent principalement via une puissante réaction de l’investissement.

De même, les réformes destinées à réduire les goulets d’étranglement entravant les nouveaux investissements qui proviennent d’un climat des affaires pesant devraient, elles aussi, avoir essentiellement des effets bénéfiques à court terme. Il s’agit notamment des mesures prévoyant la réduction des charges administratives pesant sur les nouvelles entreprises ou l’accélération des procédures d’insolvabilité qui accroissent le coût d’opportunité de l’investissement en immobilisant le capital pendant une période plus longue que ce qui avait été prévu initialement. Dans un grand nombre de pays de la zone euro, il y a des occasions faciles à saisir dans ce domaine (cf. graphique 10).

Il ressort des simulations EAGLE que, si les réformes sont bien coordonnées entre les pays de la zone euro, les effets bénéfiques à court terme pour une économie de taille moyenne peuvent être portés à un niveau optimal, notamment en limitant l’incidence à la baisse sur l’inflation (cf. graphique 12). Cela conforte mon propos concernant la nécessité de renforcer la gouvernance commune des réformes structurelles dans la zone euro : si l’ensemble des pays engagent des réformes, tous les pays en tirent un plus grand profit. Et ces conclusions sont valables même dans l’hypothèse d’une politique monétaire ayant une marge de manœuvre limitée.

L’interaction avec d’autres mesures de politique économique

Toutefois, il est également important de souligner qu’à l’heure actuelle, cette hypothèse ne s’applique pas à la zone euro. Contrairement aux modèles développés dans la littérature, la marge de manœuvre de la politique monétaire n’est pas limitée parce que nous avons atteint le niveau plancher de taux d’intérêt. Comme je l’ai expliqué lors d’un discours que j’ai prononcé récemment à Washington, je pense que nous avons démontré ces derniers mois à quel point la politique monétaire peut être efficace lorsqu’elle doit recourir à des mesures non conventionnelles [23].

La différence qui peut être observée en ce qui concerne les effets à court terme des réformes apparaît clairement dans nos simulations EAGLE. La politique monétaire étant en mesure de répondre à tout choc négatif sur l’inflation, la hausse des prix à la consommation est à peine affectée (cf. graphique 13).

C’est sur la politique budgétaire que des contraintes pèsent depuis quelques années dans la zone euro, certains pays n’ayant plus ou pratiquement plus accès au marché. Mais nous devons garder à l’esprit que, dans ces circonstances, les réformes structurelles sont en réalité essentielles pour soutenir la stabilisation budgétaire. Dans la mesure où elles suscitent des anticipations quant à de futures recettes des administrations publiques, elles renforcent la soutenabilité de la dette publique, atténuent la contrainte de la discipline de marché, recréant par là une marge de manœuvre budgétaire.

En tout cas, à l’heure actuelle, la demande est soutenue de manière significative, à court terme, par la politique monétaire, et l’orientation de la politique budgétaire est globalement neutre. Dès lors, les arguments militant en faveur d’un report des réformes structurelles deviennent encore moins convaincants. Toute réforme entreprise maintenant exercera une meilleure interaction avec les politiques de stabilisation macroéconomique. Et j’irais même plus loin en affirmant que l’orientation actuelle de notre politique monétaire rend souhaitable une accélération des réformes structurelles, dans la mesure où, grâce à elle, leurs effets positifs sur la demande se feront sentir plus rapidement.

Les ouvrages économiques démontrent qu’un secteur bancaire qui fonctionne bien est un facteur essentiel pour recueillir à court terme les fruits des réformes, car il assure un flux rapide des fonds vers les nouvelles possibilités d’investissement qu’ils génèrent [24]. Dans ce contexte, la combinaison de notre politique en matière de taux d’intérêt et de l’assouplissement du crédit, associée à l’évaluation complète des bilans des banques, menée à son terme il y a peu de temps, peut être considérée comme un facteur créant les conditions idéales du succès des réformes.

En ramenant les taux d’intérêt réels à un niveau largement inférieur au taux de croissance à moyen terme, cet ensemble de mesures crée de puissantes incitations à investir. Et en améliorant la transmission des faibles taux réels aux conditions de financement effectives, il permet au secteur financier de redistribuer rapidement les financements aux entreprises qui tirent parti de ces incitations.

De cette manière, la politique monétaire accommodante soutient les réformes structurelles en permettant aux effets positifs sur l’investissement et l’emploi de se matérialiser plus rapidement. Et les réformes structurelles, en réduisant les incertitudes pesant sur les futures perspectives macro- et microéconomiques, soutiennent la politique monétaire en libérant la demande d’investissements non satisfaite que la politique monétaire accommodante crée.

Par conséquent, il est clair que l’argument selon lequel la politique monétaire accommodante constitue une excuse que les gouvernements et les parlements invoquent pour remettre à plus tard leurs efforts de réformes n’est pas valable. En fait, je soutiens qu’elle abaisse le coût social et politique des réformes, en réduisant le temps nécessaire pour que les réformes fassent sentir leurs effets positifs. Tout cela appuie mon affirmation selon laquelle l’environnement actuel ne justifie, en soi, aucun retard à cet égard.

Conclusion

Je voudrais à présent conclure mon propos.

Les perspectives économiques pour la zone euro sont meilleures aujourd’hui qu’elles ne l’ont été pendant sept longues années. La politique monétaire produit ses effets sur l’économie. La croissance s’accélère. Et les anticipations d’inflation se sont redressées par rapport à leur point bas.

Cette évolution ne signifie nullement que nous n’avons plus aucun défi à relever, et une reprise conjoncturelle ne résout pas, à elle seule, tous les problèmes de l’Europe. Elle n’élimine pas l’endettement excessif qui affecte certains pays de l’Union. Elle n’élimine pas le chômage structurel élevé qui touche trop de pays. Et elle n’élimine pas la nécessité de parfaire le cadre institutionnel de notre union monétaire.

Mais la reprise conjoncturelle offre aux gouvernements des conditions presque optimales leur permettant d’engager plus systématiquement les réformes structurelles qui arrimeront le retour à la croissance. La politique monétaire peut faire reprendre à l’économie une direction qui la ramène vers son potentiel. Les réformes structurelles peuvent élever ce potentiel. C’est la combinaison de ces politiques d’offre et de demande qui permettra d’obtenir une stabilité et une prospérité durables.

  1. [1]Bartelsman, E., J. Haltiwanger, et S. Scarpetta (2013), Cross-Country Differences in Productivity: The Role of Allocation and Selection. American Economic Review, 103(1): 305-34.

  2. [2]Haltiwanger, J. (2012), Job Creation and Firm Dynamics in the United States. Innovation Policy and the Economy, vol. 12. Avril 2012.

  3. [3]Bartelsman, E., F. di Mauro et E. Dorrucci (2015), Eurozone rebalancing: Are we on the right track for growth? Insights from the CompNet micro-based data. www.voxeu.org.

  4. [4]Draghi, M. Stabilité et prospérité dans une union monétaire. Discours prononcé à l’université d’Helsinki le 27 novembre 2014. Voir aussi l’intervention lors du congrès économique organisé par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, novembre 2013.

  5. [5]Banco de España (2013), Variation in the cyclical sensitivity of Spanish inflation: an initial approximation. Bulletin économique, juillet-août 2013.

  6. [6]Riggi, M., et F. Venditti (2014), Surprise! Euro area inflation has fallen. Banca d’Italia Occasional Papers n° 237, septembre 2014.

  7. [7]Commission européenne, Prévisions économiques d’hiver 2015 ; FMI, Perspectives de l’économie mondiale, avril 2015 ; OCDE, Perspectives économiques, novembre 2014.

  8. [8]Arulampalam, W., P. Gregg, et M. Gregory (2001), Unemployment Scarring. The Economic Journal, vol. 111, novembre 2001.

  9. [9]Coenen, G. (2003), Zero lower bound: is it a problem in the euro area? Document de travail de la BCE n° 269, septembre 2003.

  10. [10]Bouis, R., et R. Duval (2011), Raising the Potential Growth after the Crisis: A Quantitative Assessment of the Potential Gains from Various Structural Reforms in the OECD Area and Beyond. Document de travail du Département des affaires économiques de l’OCDE n°835, janvier 2011.

  11. [11]Lopez-Garcia, P., F. di Mauro et the CompNet Task Force (2015), Évaluation de la compétitivité européenne: la nouvelle base de données microéconomiques CompNet. Document de travail de la BCE n° 1764.

  12. [12]Eggertsson, G., A. Ferrero, et A. Raffo (2014), Can Structural Reforms Help Europe? Journal of Monetary Economics, n° 61, janvier 2014.

  13. [13]Andrews, D., A. Caldera Sanchez, et A. Johansson (2011), Housing Markets and Structural Policies in OECD Countries. Documents de travail de l’OCDE, n° 836, janvier 2011.

  14. [14]Gnocchi, S., A. Lagerborg, et E. Pappa (2014), Do labor market institutions matter for business cycles?, Journal of Economic Dynamics and Control, vol. 51, février 2015.

  15. [15]Giavazzi, F., et M. McMahon (2008), Policy Uncertainty and Precautionary Savings . Documents de travail du NBER, n° 13911, National Bureau of Economic Research.

  16. [16]Gomes, S., P. Jacquinot, et M. Pisani (2010), The EAGLE. A model for policy analysis of macroeconomic interdependence in the euro area, Documents de travail de la BCE, n° 1195, mai 2010.

  17. [17]Dans l’hypothèse d’une pleine crédibilité, les entreprises anticipent l’intégralité de l’augmentation implicite à long terme de la production, ce qui se traduit par une progression immédiate des prix des actifs et donc de la valeur nette des entreprises, entraînant une hausse de l’investissement à court terme. De même, les ménages anticipent une hausse des salaires réels et donc des revenus sur le cycle de vie, ce qui soutient la consommation actuelle. Dans l’hypothèse d’une crédibilité imparfaite, en revanche, les entreprises et les ménages ajustent partiellement, à terme, leur connaissance des effets favorables à long terme. L’analyse saisit également la notion selon laquelle la crédibilité est endogène et est affectée négativement par la mise en œuvre retardée des réformes.

  18. [18]Pour plus de détails sur l’importance que revêt une mise en œuvre anticipée des réformes structurelles, voir le discours de Cœuré, B., sur les Structural reforms: learning the right lessons from the crisis, prononcé lors de la Conférence économique 2014 de la Banque de Lettonie, Riga, 17 octobre 2014.

  19. [19]Blanchard, O., et F. Giavazzi (2003), Macroeconomic Effects of Regulation and Deregulation in Goods and Labor Markets. Quarterly Journal of Economics, Vol. 118, février 2001.

  20. [20]Voir par exemple Burda, M., et J. Hunt (2011), What Explains the German Labour Market Miracle in the Great Recession? Documents de travail du NBER, n° 17187, juin 2011 ; et Brenke, K., U. Rinne, et F. Zimmermann (2013), Short-Time Work: The German Answer to the Great Recession. International Labour Review Vol. 152, Issue 2, juin 2011.

  21. [21]Di Mauro, F., et M. Ronchi (2015), Centralisation of wage bargaining and firms’ adjustment to the great recession: A micro-based analysis. CompNet Policy Brief, n° 8. mai 2015. Competitiveness Research Network (CompNet).

  22. [22]Voir par exemple Forni, L., A. Gerali, et M. Pisani (2010) Macreconomic Effects of Greater Competition in the Service Sector: the case of Italy. Macroeconomic Dynamics, 2010 ; ou Faini, R., J. Haskel, G. Navaretti, C. Scarpa et C. Wey (2006), Contrasting Europe’s Decline: Do Product Market Reforms Help? in Boeri, T., M. Castanheira, R. Faini, et V. Galasso (eds.), Structural Reforms Without Prejudices, Oxford University Press.

  23. [23]Draghi, M. Les récentes mesures de politique monétaire de la BCE : efficacité et défis. Cycle de conférences « Camdessus » au Fonds monétaire international, 14 mai 2015.

  24. [24]Bouis, R., O. Causa, L. Demmou, R. Duval, et A. Zdzienicka (2012), The Short-Term Effects of Structural Reforms: An Empirical Analysis. Documents de travail de l’OCDE, n° 949.

CONTACT

Banque centrale européenne

Direction générale Communication

Reproduction autorisée en citant la source

Contacts médias