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Piero Cipollone
Member of the ECB's Executive Board
  • INTERVIEW

Entretien avec Le Monde

Entretien accordé par Piero Cipollone, membre du directoire de la BCE, à Eric Albert

4 septembre 2024

La croissance de la zone euro est atone, l’économie se contracte en Allemagne et l'inflation est en-dessous de 3 % depuis six mois. Ne craignez-vous pas d'étouffer la croissance économique en maintenant des taux d'intérêt trop élevés pendant trop longtemps ?

En juin, nos prévisions de croissance pour la zone euro étaient de 0,9 % pour 2024. Les données du deuxième trimestre restent compatibles avec ces prévisions, mais les données les plus récentes – comme la confiance des consommateurs et les indicateurs d’activité (PMI), en particulier pour le secteur manufacturier – n’ont pas été aussi encourageantes. Cela fait peser un risque sur les perspectives de croissance de la zone euro. Les investissements restent faibles, ce qui suggère que les entreprises ne croient pas en une reprise forte. Cela diminue en outre notre potentiel de croissance future en réduisant la capacité de notre économie à développer et adopter les nouvelles technologies nécessaires pour gagner en productivité.

Alors, est-ce à dire que la BCE maintient des taux trop élevés ? Nos prévisions en matière d'inflation indiquent que nous reviendrons à notre objectif de 2% au second semestre 2025. D’ici là, les chiffres d’inflation seront en dents de scie, mais nous sommes globalement sur la bonne voie. Or, ces prévisions reposent sur l’anticipation par le marché de baisses de taux.

Vous laissez donc entendre que les baisses de taux sur lesquelles ces prévisions reposent, de 3,75% actuellement à 3,25% d’ici la fin de l’année, sont correctes ?

Nous ne nous engageons pas à l’avance. Nous déciderons à chaque réunion de politique monétaire.

Certes, mais lors de la prochaine réunion, jeudi 12 septembre, préconiserez-vous une baisse des taux ?

Les données confirment jusqu’ici la direction dans laquelle nous nous sommes engagés et j’espère qu’elles nous permettront de continuer à nous montrer moins restrictifs.

Êtes-vous d'accord avec Philip Lane, le chef économiste de la BCE, qui avertit que le risque d'en faire trop est désormais aussi réel que celui de ne pas en faire assez ?

Oui, le risque que nous nous montrions trop restrictifs existe bel et bien. Il nous faut faire converger l’inflation vers notre objectif, mais éviter de contraindre l’économie plus que nécessaire, car nous avons désespérément besoin de croissance en Europe, en particulier d’investissements. Chaque retard que nous prenons sur ce terrain est un sérieux handicap.

Depuis 2008, l'Europe semble avoir décroché économiquement par rapport aux États-Unis. L’écart s’est accentué depuis la pandémie. Pourquoi ?

Notre souci n’est plus l’emploi : le taux d’emploi a considérablement augmenté dans la zone euro et nous devons nous en féliciter.

Notre souci, c'est la productivité. En 30 ans, la productivité horaire dans la zone euro a augmenté moitié moins qu’aux États-Unis. Nos entreprises n'investissent pas autant qu'aux États-Unis, en particulier dans les nouvelles technologies. Pourquoi ? A cause de leur petite taille. L'Europe n'a pas réussi à faire émerger des entreprises de taille suffisante pour être compétitives au niveau mondial. Nous ne tirons pas partie de notre principal atout, à savoir le marché unique européen. C’est un problème structurel.

Nous sommes retranchés derrière des lignes nationales qui fragmentent nos marchés financiers, de biens et de services. . Cela contraint le financement et le développement des entreprises européennes et ainsi leur capacité à être compétitives face à la concurrence internationale.

Prenons l’exemple du dernier Championnat d’Europe de football : un évènement européen, qui s’est déroulé sur le sol européen. Mais si vous vouliez acheter un billet en ligne, vous deviez utiliser un moyen de paiement américain (Visa, MasterCard) ou chinois (AliPay). C’est l’une des raisons pour laquelle nous travaillons à l’euro numérique, qui serait l’équivalent des espèces pour les paiements numériques.

Dans ce contexte, comment l'Europe se situe-t-elle dans la révolution de l’intelligence artificielle (IA) ?

Il s'agit d'une technologie très puissante, dont nous pourrions tirer un grand profit. Mais il faut faire attention : si tous les fournisseurs d'IA sont originaires d'un même pays, le risque est qu’ils puissent imposer un prix si élevé que toute la valeur ajoutée leur reviendra. C'est ce que nous avons déjà vu dans d'autres secteurs, comme celui des nouvelles technologies. Pour ne pas prendre de retard, il est essentiel que nous transformions nos capacités de recherches et de formation – qui sont d’excellent niveau en Europe – en capacité de développer des produits innovants.

Dans ce contexte, le retour en vigueur cette année des règles budgétaires européennes, qui nécessitent de réduire les dépenses publiques, est-il judicieux ?

Tout d'abord, les nouvelles règles budgétaires de l’UE sont compatibles avec le maintien de l’investissement public. Elles comprennent des incitations à faire des réformes et à investir, permettant de faire passer la durée de l’ajustement budgétaire de quatre à sept ans.

Par ailleurs, nous devons faire attention à la dette. Je viens d'un pays (l’Italie) où le service de la dette est aussi important que le budget de l'éducation. Plus la dette est importante, plus le marché est volatil, plus il est difficile de procéder à un ajustement. Lorsque vous avez une dette excessive, votre souveraineté est menacée.

Et par conséquent, la solution doit-elle venir d'une augmentation des emprunts européens réalisés en commun ?

Compte tenu des enjeux, nous avons besoin d’investissements à la fois privés et publics. Et dans les deux cas, nous avons besoin d’agir à l’échelle européenne. D’une part, parce qu’il s’agit d’investissements qui bénéficieront à tous les Européens. Et d’autre part, parce que l’échelle européenne permet de faire baisser les coûts de financements.

Cela veut dire développer des marchés de capitaux véritablement européens et une capacité d’emprunt commune. C'est ce que nous prônons depuis longtemps. Et cela permettrait de développer des actifs sûrs. Lorsque nous parlons aux gestionnaires d'actifs, ils disent qu'ils aimeraient acheter plus d’obligations libellées en euro. Je pense qu'il s'agit là d'un élément très important pour le rôle international de l'euro.

Mais cet appel à plus d’emprunts communs reste pour l’instant lettre morte...

Nous savons que l'Union européenne met parfois du temps à s’accorder... C'est une réalité mais cela ne doit pas nous décourager.

La croissance des salaires en zone euro s'est ralentie au deuxième trimestre à 3,6%, contre 4,7% au trimestre précédent. La BCE considère cette évolution comme une bonne nouvelle, car cela permet d'éviter une spirale prix-salaires. Mais ne pensez-vous pas qu'il soit nécessaire que les salaires rattrapent le pouvoir d'achat perdu ?

Si, absolument. Nous ne devrions pas avoir peur que les salaires augmentent plus vite que l'inflation pendant quelque temps, après avoir progressé plus lentement auparavant. Sinon je ne vois pas comment nous pourrions soutenir la reprise et ainsi le rebond de la productivité. Il ne s’agit pas d’une spirale prix-salaire mais d’un rattrapage naturel qui est sain pour l'économie.

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