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De l’importance de l’alignement des politiques économiques pour atteindre le niveau de croissance potentielle

5e Conférence annuelle Tommaso Padoa-Schioppa prononcée par Mario Draghi, président de la BCE, Forum économique de Bruxelles 2016, Bruxelles, 9 juin 2016

Dans un discours prononcé à Vienne la semaine dernière, j’ai expliqué pourquoi la politique monétaire pouvait apporter le degré approprié de relance monétaire, même dans un contexte où les taux d’intérêt sont proches de leur plancher effectif[1]. L’inflation étant en fin de compte un phénomène monétaire, une banque centrale déterminée peut toujours s’acquitter de sa mission. Et cela vaut peu importe l’orientation des autres politiques macroéconomiques.

Mais la politique monétaire ne se conduit pas en vase clos. Parler d’indépendance dans l’interdépendance est une meilleure description de la situation des banques centrales, car d’autres politiques ont beaucoup d’importance. Ces autres politiques peuvent consolider ou diluer les effets de nos mesures. Elles peuvent ralentir ou accélérer le retour à la stabilité. Et elles peuvent déterminer si la stabilité s’accompagne de la prospérité, ce qui influe directement sur la cohésion sociale au sein de la zone euro.

Ce sont ces interactions, et leur importance, que je souhaiterais évoquer avec vous aujourd’hui.

Comment les interactions stabilisent l’économie

La politique monétaire de la BCE a pour objectif une inflation inférieure à 2 %, mais proche de ce niveau, à moyen terme. Mais le moyen terme n’est pas une période fixe. Face à des chocs défavorables, le rythme auquel la politique monétaire peut ramener l’inflation à un niveau conforme à l’objectif fixé dépend de deux facteurs : la nature du choc et les conditions dans lesquelles la politique monétaire opère.

Certaines perturbations freineront inévitablement l’inflation plus longtemps que d’autres et le retour à l’objectif fixé sera d’autant plus lent. La succession récente de chocs sur l’offre de pétrole à l’échelle mondiale constitue un exemple parfait. Dans ce contexte, il ne revient pas à la politique monétaire de combattre les chocs à court terme sur les prix, mais bien de les empêcher d’alimenter une dynamique inflationniste à plus long terme ; en d’autres termes, il convient de veiller à ce que l’effet des chocs sur l’inflation ne soit pas plus persistant que nécessaire. Donc, quand nous parlons de ramener l’inflation au niveau que nous avons fixé comme objectif sans délai, c’est de cela qu’il s’agit. Le retour à la stabilité des prix ne doit pas prendre plus de temps que ne l’impose la nature des chocs auxquels nous sommes confrontés.

Cela ne dépend toutefois pas exclusivement de notre action. Il faut en effet tenir compte du deuxième facteur, à savoir les conditions dans lesquelles nous opérons. La politique monétaire peut agir de manière décisive pour soutenir la demande, stabiliser les anticipations d’inflation et éviter des effets de second tour sur les salaires et les prix, et c’est exactement ce que la BCE a fait ces deux dernières années[2]. Mais l’orientation des autres politiques influe aussi sur le rythme auquel la production retrouve son niveau potentiel. Donc, si les autres politiques ne sont pas alignées sur la politique monétaire, le retour de l’inflation à notre objectif risque d’être plus lent.

Un certain nombre de politiques sont importantes à cet égard.

Premièrement, pour que la politique monétaire alimente la demande et l’inflation, il est crucial que le système financier soit en mesure de transmettre notre impulsion de manière efficiente à l’économie. Dans la zone euro, ce mécanisme de transmission a été entravé à maintes reprises par le passé, dans un premier temps par une hausse des primes de risque liée à des craintes injustifiées quant à la survie de la zone euro, et ensuite par un désendettement généralisé des banques[3]. En conséquence, l’efficacité de notre impulsion a été diluée et les délais « longs et variables » de la politique monétaire ont été allongés.

Nous avons réagi en prenant des mesures pour éliminer les obstacles à la transmission et en incluant un examen de la qualité des actifs dans l’évaluation complète des bilans des banques que nous avons engagée en 2013. Cela a contribué à assouplir les conditions de financement, nos enquêtes sur la distribution du crédit bancaire en attestent. Mais les bilans des banques ne sont pas encore totalement assainis, comme en témoigne le niveau élevé des créances douteuses dans certaines parties de la zone euro. Il conviendra donc de continuer d’agir sur ces actifs douteux, et les conditions préalables devront être mises en place par les politiques et les autorités appropriées.

Deuxièmement, il importe pour la politique monétaire de savoir si la politique budgétaire oriente la demande globale dans la même direction, et avec quelle vigueur. La politique budgétaire a été restrictive pendant plusieurs années dans la zone euro après la perte de confiance dans le crédit souverain en 2010, et l’effet négatif sur la croissance a été exacerbé par le fait que certains pays ont assaini leurs finances publiques principalement en relevant les impôts plutôt qu’en comprimant les dépenses courantes[4]. La charge de la stabilisation macroéconomique a donc été supportée entièrement par la politique monétaire. Et comme la transmission de la politique monétaire était perturbée, le retour de la production à son niveau potentiel a été plus lent que si la politique budgétaire y avait contribué davantage.

C’est pourquoi la BCE a affirmé à de nombreuses reprises que la politique budgétaire devait soutenir la politique monétaire et non l’entraver, et l’orientation globale des politiques budgétaires dans la zone euro est aujourd’hui légèrement expansionniste. Le soutien de la demande ne dépend pas seulement du solde du budget, mais bien aussi de sa composition, en particulier la charge fiscale et la part de l’investissement public. Nous ne devons pas considérer que la politique budgétaire est uniquement un outil macroéconomique, dont disposent seulement les pays ayant des finances publiques solides. C’est aussi un outil de politique microéconomique qui peut stimuler la croissance même lorsque les finances publiques doivent être assainies.

Troisièmement, il importe pour la politique monétaire que les politiques structurelles appropriées soient en place. Des réformes structurelles peuvent limiter l'ampleur et la durée des chocs, ce qui facilite l'ancrage des anticipations d’inflation et maintient les taux d'intérêt à un bas niveau[5]. Ces réformes peuvent aussi réduire le délai de transmission de nos mesures, car une économie plus souple et plus réactive transmettra probablement plus vite les impulsions de la politique monétaire[6]. En outre, elles rehaussent la croissance potentielle, ce qui entraîne une augmentation de l’investissement et donc du taux réel d’équilibre. La banque centrale se retrouve ainsi de nouveau dans une situation où elle peut mener une politique de taux d’intérêt conventionnelle pour assurer la stabilité des prix.

Dans la zone euro, de nombreuses réformes structurelles ont été opérées ces dernières années, en particulier dans les pays qui ont été touchés le plus durement par la crise. Les bénéfices en sont aujourd’hui visibles. Mais bien d’autres bénéfices restent à réaliser, et il convient de redoubler d’efforts.

Enfin, l’incertitude qui entoure la stabilité institutionnelle de la zone euro est importante aussi pour la politique monétaire, car elle peut elle aussi ralentir la transmission de la politique monétaire. Les entreprises dont l’environnement opérationnel est incertain pour les années à venir pourraient, de manière compréhensible, choisir de différer ou même d’abandonner leurs projets d’investissement. C’est particulièrement le cas lorsque le rendement de ces investissements dépend dans une large mesure de la taille et de l’ouverture du marché offert par la zone euro et l’Union européenne. Cela est apparu clairement par le passé lorsque l’avenir de la zone euro a été mis en question.

Et ce type d’incertitude n’a pas seulement une incidence sur les entreprises qui empruntent pour financer leur investissement. Elle peut aussi influer sur le taux d’épargne des entreprises et des ménages, qui peuvent accroître leur épargne de précaution s’ils pensent que les risques augmentent. Cela irait évidemment à l’encontre des mesures de politique monétaire visant à stimuler l’investissement et la consommation.

Je tiens donc à souligner une fois de plus qu’il est fondamental de rétablir la clarté du cadre institutionnel de la zone euro ainsi que la confiance dans ce cadre. Nous savons que le cadre actuel est incomplet. On s’accorde dans une large mesure sur ses lacunes, et de nombreuses propositions d’amélioration ont été avancées. S’il est nécessaire de progresser sur ce front pour le long terme, c’est important à court terme aussi en raison des effets sur l’investissement. En fait, le meilleur moyen d’accroître la production aujourd’hui consiste peut-être à éliminer le frein que ces incertitudes exercent sur la confiance.

En résumé, il existe un degré élevé d’interaction entre la politique monétaire et d’autres politiques qui pourraient, en principe, être axées sur des objectifs différents. Ces interactions n’empêchent pas une banque centrale déterminée d’atteindre son objectif. Mais elles influent sur le temps nécessaire pour y parvenir. Pour que la stabilisation ne soit pas plus lente que strictement nécessaire, toutes les politiques ont donc un rôle à jouer.

En fait, tous les responsables de la politique économique devraient être fortement motivés à agir, parce que le temps presse. Un retour trop lent de la production à son niveau potentiel est loin d’être sans danger. Au contraire, il aurait des conséquences économiques durables, car il pourrait en fin de compte conduire aussi à une érosion du potentiel.

Il est bien établi par exemple que des personnes qui restent sans emploi trop longtemps risquent d’en subir les conséquences toute leur vie, sous la forme d’une réduction de leur employabilité, de leur productivité et de leur revenu — ce qu’on appelle l’effet d’hystérèse[7]. C’est particulièrement vrai pour les jeunes travailleurs qui sont sans emploi pendant leurs années si importantes d’apprentissage et qui risquent de souffrir de l’« effet cicatrice »[8]. Dans la zone euro, on estime que le chômage structurel a augmenté pendant la crise, tandis que le chômage des jeunes demeure élevé[9].

En outre, de plus en plus de données indiquent qu’une croissance inférieure au potentiel pendant une trop longue période peut réduire ce potentiel à travers son effet sur la croissance de la productivité. Lorsque l’incertitude est élevée, une attitude attentiste peut conduire les entreprises les plus productives à ne pas se développer autant qu’elles ne le feraient autrement, et les entreprises les moins productives à ne pas voir leur activité se contracter autant qu’elle le devrait[10]. En d’autres termes, et contrairement à ce que l’on entend souvent, une demande trop faible peut ralentir la « destruction créative », alors qu’une demande plus vigoureuse peut l’accélérer. Et des effets de ce type s’observent aussi dans la zone euro[11].

Toute action tardive pèse sur le travail et la productivité, et l’écart de production se comble de la « mauvaise manière » : au lieu de voir la production augmenter pour se rapprocher de son potentiel, c’est le potentiel qui fléchit pour se rapprocher de la production effective.

Il est donc en fait dans l’intérêt de tous d’agir sans tarder. Pour la BCE, cela signifie que nous ne laissons pas l’inflation au-dessous de notre objectif plus longtemps que la nature des chocs auxquels nous sommes confrontés l’impose. Pour d’autres, il s’agit de tout faire pour que la production retrouve son niveau potentiel avant qu’une croissance médiocre ne provoque des dommages durables. Étant donné le repli du potentiel de croissance déjà observé pendant la crise, il s’agit aussi d’agir de manière résolue pour le rehausser.

Si le maintien de la production à un niveau proche de son potentiel tient au bon dosage des différents moyens d’action, l’accroissement du potentiel tient avant tout à des réformes structurelles. En fin de compte, deux facteurs entrent en jeu : l’emploi et la productivité. Et dans ces deux domaines, la zone euro a largement les moyens d’accroître la production en engageant résolument des réformes.

Relever la croissance potentielle

S’agissant de l’emploi, nous savons que la zone euro pâtit depuis longtemps d’une démographie défavorable. Je vois, cependant, de grandes possibilités d’accroître la production dans la zone euro, en agissant sur les autres leviers de l’emploi ; premièrement, en réduisant le taux de chômage tendanciel, qui reste trop élevé dans de nombreux pays, et, deuxièmement, en augmentant les taux d’activité, qui restent inférieurs dans certains pays aux niveaux observés ailleurs dans le monde.

Pour réduire le chômage tendanciel, il faut notamment inverser les effets d’hystérèse que je décrivais il y a un instant. Rappelons-nous, toutefois, que la crise est survenue dans un environnement déjà difficile : le chômage structurel dans la zone euro était estimé à environ 9 % avant même que la crise n’éclate, alors qu’il n’était que de 5 % aux États-Unis. Cette situation tient aux caractéristiques structurelles des marchés du travail de la zone euro, qui ont orienté le chômage à la hausse à travers plusieurs cycles économiques successifs[12]. Il existe donc une abondante main-d’œuvre disponible dans la zone euro, qui pourrait être utilisée si des politiques adéquates du marché du travail, notamment d’activation, étaient mises en place, davantage encore que dans les autres économies avancées.

Plusieurs exemples ont montré, pendant la crise, que de telles réformes portent leurs fruits. Les réformes menées au Portugal au titre du programme d’ajustement auraient ainsi permis de réduire le taux de chômage d’environ 3 points de pourcentage au cours de la période 2011-2014[13]. De même, en Espagne, la réforme du marché du travail conduite en 2012 soutient, depuis, la croissance de l’emploi[14]. Ces développements devraient encourager les pays réformateurs à poursuivre leurs efforts, en particulier ceux où le chômage est élevé depuis si longtemps qu’il est devenu une norme sociale.

Toutefois, il ne s’agit pas seulement de faire en sorte que les chômeurs trouvent un emploi. Il convient également d’accroître la population active. C’est ici qu’intervient la participation. Même si la zone euro se classe assez bien dans les comparaisons internationales, les taux de participation restent relativement bas dans certains pays participants, un écart de quelque 15 points de pourcentage séparant les pays aux taux les plus élevés de ceux où la situation est la moins favorable. Ce constat montre qu’il est aussi possible d’augmenter l’emploi par ce biais, en mettant en œuvre les politiques structurelles adéquates. Ainsi, les taux de participation des travailleurs plus âgés ont fortement progressé pendant la crise, sous l’effet en partie des réformes des systèmes de retraite adoptées dans de nombreux pays de la zone euro[15].

Quoi qu’il en soit, en dépit de cette réserve inexploitée qui pourrait permettre d’accélérer la croissance de l’emploi, nous ne pourrons éviter, à terme, de subir le contrecoup des « limites de vitesse » inhérentes à la démographie défavorable de la zone euro. La population en âge de travailler dans la zone euro devrait commencer à se contracter progressivement au cours de la décennie à venir. Dans ce contexte, la croissance de l’emploi devrait commencer à ralentir dans un futur proche, même si des réformes structurelles vigoureuses sont menées, car une hausse de la part des personnes ayant un emploi ne pourra plus compenser la diminution de la population en âge de travailler. Même les flux d’immigrés plus élevés qui sont attendus ne devraient pas permettre de compenser pleinement ce recul naturel de la population[16].

Les politiques publiques peuvent bien entendu contribuer à lisser ces effets à travers l’accueil et l’intégration des migrants. Mais comme elles ne peuvent pas véritablement influencer les évolutions démographiques à long terme, l’accélération de la croissance à long terme ne sera possible que grâce à une hausse de la productivité.

Or, il n’est pas facile d’améliorer la productivité. Un large éventail de réformes est nécessaire, qui se heurtent généralement aux intérêts acquis. C’est la raison pour laquelle de nombreux pays ont jugé plus facile d’engager des réformes de leur marché du travail plutôt que dans d’autres domaines pendant la crise, alors que les nombreux efforts déployés depuis le début du siècle pour faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » n’ont produit que des résultats médiocres[17]. Au vu des faibles perspectives de croissance dans la zone euro, toutefois, relever le défi de la productivité ne peut plus attendre.

Globalement, deux canaux alimentent la productivité. Le premier est la croissance intra-entreprise, qui est liée au développement et à la diffusion d’innovations et de nouvelles techniques de gestion. Le second est la croissance entre entreprises, qui tient au glissement des ressources des entreprises les moins productives vers les plus productives. Les deux canaux expliquent les résultats plutôt médiocres de la zone euro.

Les indicateurs en matière de recherche et développement font état de capacités d’innovation en retrait dans la zone euro, particulièrement dans le secteur des services. En effet, la diffusion des technologies de l’information et de la communication semble avoir apporté une contribution nettement inférieure à la croissance de la productivité des services qu’aux États-Unis, cet élément expliquant en grande partie la plus faible productivité enregistrée dans la zone euro depuis la moitié des années 1990[18].

Dans le même temps, une mutation de long terme est à l’œuvre dans la zone euro, l’emploi se trouvant de moins en moins dans le secteur manufacturier et de plus en plus dans les services. Et cette évolution a été exacerbée par les profils des créations d’emplois depuis la crise[19]. Bien entendu, ces mutations concernent toutes les économies avancées. Mais, la croissance de la productivité dans le secteur des services étant souvent plus faible dans la zone euro, c’est notre productivité agrégée qui s’en trouve freinée.

Cela étant, ce constat ne doit pas nécessairement nous inciter au pessimisme.

En premier lieu, il donne à penser qu’un rattrapage est largement possible en termes de productivité, grâce à l’adoption des technologies du numérique. Le débat agitant actuellement les économistes américains sur la question de savoir si les grandes vagues d’innovation technologique sont derrière nous est donc, à ce stade, moins pertinent[20]. Pour la zone euro, la question centrale est de savoir comment on peut mettre en place les conditions permettant à davantage d’entreprises de se rapprocher de la frontière de productivité.

De plus, la mutation de long terme du secteur manufacturier vers les services peut correspondre à une hausse de la productivité si l’allocation des ressources est adéquate. En fait, on constate de très grands écarts entre les entreprises les plus productives et celles qui le sont le moins au sein de chaque secteur, davantage encore qu’entre les secteurs[21]. Par conséquent, la productivité agrégée peut toujours être améliorée, même dans une économie tournée vers les services.

La zone euro doit donc relever un double défi : rapprocher plus d’entreprises, dans tous les secteurs, de la frontière de productivité et augmenter les fonds propres de ces entreprises productives ainsi que la main-d’œuvre qu’elles emploient. Je voudrais souligner un élément déterminant : non seulement la production serait accrue, mais l’emploi et l’égalité salariale en bénéficieraient aussi dans la mesure où le travail se concentrerait dans les entreprises à la fois en phase de croissance et à la recherche de compétences plus pointues.

Je vois trois priorités pour atteindre cet objectif.

La première est de lever les obstacles structurels à la diffusion de la connaissance en Europe. Cette ambition recouvre de nombreux aspects, mais il est crucial d’encourager l’ouverture commerciale et de faciliter la participation des entreprises aux chaînes de valeur, d’une part, et de mettre en place un environnement concurrentiel pour les entreprises, favorisant l’adoption de pratiques de gestion et de structures organisationnelles de haute qualité, d’autre part[22]. L’avancée rapide la plus significative que l’on pourrait réaliser dans ce domaine consisterait à parachever le marché unique, notamment dans les services. En effet, la diffusion dans le monde de la dimension européenne s’en trouverait automatiquement accélérée, ce qui profiterait aux nombreuses entreprises de pointe de taille mondiale dont nous disposons déjà[23].

Les entreprises doivent toutefois pouvoir se développer pour participer efficacement au marché unique. C’est la raison pour laquelle la deuxième priorité est de créer les conditions permettant aux plus productives d’entre elles de croître rapidement et d’attirer les ressources dont elles ont besoin. Il convient, pour cela, de disposer de marchés des produits et du travail efficients, d’un système financier orientant les capitaux vers les entreprises dynamiques et de politiques veillant à ce que les ressources ne soient pas accaparées par les entreprises non productives, à travers notamment des systèmes judiciaires et des législations en matière de faillites appropriés. Les mutations de cette nature ouvrent des possibilités, mais peuvent aussi être perçues comme une menace par les travailleurs. Il est donc important de disposer également de dispositifs de protection sociale adéquats.

La troisième priorité est donc, en partie pour cette raison, l’amélioration du capital humain. Cela profiterait aux travailleurs, dont la rémunération augmenterait grâce à des compétences plus adaptées, et aux entreprises productives, dans lesquelles l’inadéquation des compétences qui freine leur expansion serait réduite[24]. Les progrès dans ce domaine passent essentiellement par l’éducation, mais les réformes des marchés du travail, à travers des dispositifs de formation tout au long de la vie et la suppression des dualités, pourraient également apporter une contribution importante, notamment en offrant davantage de possibilités aux travailleurs plus jeunes et plus âgés d’acquérir de l’expérience et de se former, deux dimensions contribuant à augmenter leur productivité.

L’investissement dans le capital humain est donc, en définitive, l’élément essentiel d’une croissance plus forte et plus inclusive. À terme, cet investissement permettrait à la zone euro non seulement de converger vers la frontière de productivité, mais aussi de rehausser celle-ci.

Chaque pays doit bien entendu faire face à des défis qui lui sont propres. Mais les pays de la zone euro affichant une forte croissance de la productivité ne sont pas nombreux. Des progrès doivent donc pouvoir être réalisés presque partout. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Rapport des cinq présidents que nous avons publié récemment appelait à un nouveau processus de convergence entre les pays de la zone euro afin qu’ils se rapprochent tous des meilleures pratiques en matière de réformes structurelles[25]. Il importe à ce stade que nous parvenions à un consensus autour des réformes indispensables et des modalités de leur mise en œuvre dans les différents pays, et ensuite que le processus soit lancé.

Conclusion

Beaucoup d’arguments politiques compréhensibles plaident pour un report des réformes structurelles, mais très peu de nature économique. Le coût de ce report est simplement trop élevé.

Compte tenu des interactions que j’ai décrites entre les politiques, chacun a intérêt à ce que les différents volets se renforcent mutuellement, ne serait-ce que parce que le temps nécessaire pour qu’elles portent chacune leurs fruits en serait réduit. Cela nous permettrait également de ramener la croissance à son niveau potentiel avant que ce niveau potentiel ne soit lui-même abaissé.

Parmi les mesures qui permettraient d’accélérer le retour à notre potentiel économique, la plus simple est peut-être la levée des incertitudes qui empêchent la prise de décisions à long terme et ralentissent les investissements. M’adressant à vous ici, à Bruxelles, je ne peux que souligner les coûts d’un report de la réforme de la gouvernance de l’Union européenne et de la zone euro, dont chacun reconnaît qu’elle est indispensable, et signaler, de la même manière, le surcroît de prospérité et de stabilité qui résulterait de la levée, sans délais, de ces incertitudes.

  1. [1]Draghi, M. (2016), « S’acquitter d’un mandat symétrique à l’aide d’outils asymétriques : la politique monétaire dans un contexte de bas niveau des taux d’intérêt », discours prononcé lors de la cérémonie marquant le 200e anniversaire de la Banque nationale d’Autriche, Vienne, 2 juin 2016.

  2. [2]Pour une explication plus détaillée, cf. Praet, P. (2016), The ECB’s fight against low inflation: reasons and consequences, discours prononcé à la LUISS School of European Political Economy, Rome, 4 avril 2016.

  3. [3]Pour des données sur les perturbations de la transmission de la politique monétaire, cf. Ciccarelli, M., Maddaloni, A., et Peydró, J.-L. (2013), Heterogeneous transmission mechanism: monetary policy and financial fragility in the Eurozone, Economic Policy vol. 28, no 75, juillet 2013.

  4. [4]Pour des données sur l’incidence de la composition de l’ajustement sur la production, cf. Alesina, A., Favero, C. et Giavazzi, F. (2014), The output effect of fiscal consolidation plans, Journal of International Economics, à paraître.

  5. [5]Pour de plus amples détails sur ce point, cf. Cœuré, B. (2014), Structural reforms: learning the right lessons from the crisis, discours prononcé lors de la Conférence économique organisée à la Banque de Lettonie, Riga, 17 octobre 2014.

  6. [6]Pour de plus amples détails sur ce point, cf. Draghi, M. (2015), « Réformes structurelles, inflation et politique monétaire », discours d’ouverture lors du Forum de la BCE consacré à l’activité de banque centrale, 22 mai 2015.

  7. [7]Pour plus de détails, cf. Ball, L. (2009), Hysteresis in unemployment: old and new evidence, document de travail du NBER no 4818, mars 2009.

  8. [8]Cf. par exemple Arulampalam, W., Gregg, P. et Gregory, M. (2001), Unemployment scarring, The Economic Journal, vol. 111, novembre 2001.

  9. [9]Selon la Commission européenne, le chômage structurel atteint actuellement 9,7 % dans la zone euro.

  10. [10]Cf. par exemple Riley, R., Rosazza-Bondibene, C. et Young, G. (2015), The UK productivity puzzle 2008–13: evidence from British businesses, document de travail de la Banque d’Angleterre no 531. Cf. aussi Bloom, N., Floetotto, M., Jaimovich, N., Saporta-Eksten I. et Terry, S.J. (2014) Really Uncertain Business Cycles, Université de Stanford, mimeo.

  11. [11]Gamberoni E., Giordano, C. et Lopez-Garcia, P. (2016), Capital and labour (mis)allocation in the euro area: some stylised facts and possible determinants, mimeo, BCE.

  12. [12]Cf. Anderton, B. et al (2015), Comparisons and contrasts of the impact of the crisis on euro area labour markets, ECB Occasional Paper Series, n° 159, février 2015. Ce phénomène avait déjà été observé par Blanchard, Olivier et Wolfers, Justin (1999) dans The Role of Shocks and Institutions in the Rise of European Unemployment: the Aggregate Evidence, document de travail du NBER n° 7282.

  13. [13]Vansteenkiste, I. (2016), Did the Crisis permanently Scar the Portuguese Labour Market? Evidence from a Markov-Switching Beveridge Curve Analysis, à paraître.

  14. [14]OCDE (2013), The 2012 Labour Market Reform in Spain: A Preliminary Assessment.

  15. [15]Cf. Anderton, B. et al (2015), ibid.

  16. [16]Commission européenne (2015), Rapport 2015 sur le vieillissement.

  17. [17]Conseil européen de Lisbonne, 23-24 mars 2000, Conclusions de la présidence.

  18. [18]Bloom, Sadun et Van Reenen (2012), Americans do IT better, American Economic Review, 102,1.

  19. [19]BCE (2015), « Quelles sont les origines du récent rebond de l’emploi dans la zone euro ? », Bulletin économique, n° 8/2015.

  20. [20]Cf., par exemple, Gordon, R.J. (2016), The Rise and Fall of American Growth: The U.S. Standard of Living since the Civil War, Princeton U.P.

  21. [21]Syverson, C., (2011), What Determines Productivity?, Journal of Economic Literature, 49(2): 326-65.

  22. [22]OCDE (2015), The Future of Productivity.

  23. [23]Cœuré, B. (2014), ibid.

  24. [24]Cf. Anderton, B. et al (2015), ibid.

  25. [25]Juncker, J.-C. et al, « Compléter l’Union économique et monétaire », juin 2015.

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