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Un changement de paradigme pour le système financier mondial

Intervention de M. Jean-Claude Trichet
Président de la Banque centrale européenne
À l’occasion de la table ronde organisée dans le cadre du Colloque international intitulé : « Nouveau Monde, Nouveau Capitalisme »
Paris, le 9 janvier 2009

Mesdames et Messieurs,

La crise que nous traversons est unique depuis la seconde guerre mondiale, car elle frappe le cœur même du système financier mondial. La cause principale de la crise a été une sous-évaluation généralisée des risques, particulièrement dans les économies les plus avancées. Non seulement le volume des risques pris par les institutions financières a été sous-estimé, mais les coûts unitaires du risque ont également été sous-valorisées. Cette sous-évaluation du risque était notamment liée à l’hypothèse largement retenue par les acteurs financiers d’une poursuite des tendances observées et d’un maintien des niveaux très faibles de volatilité sur les marchés de capitaux aussi bien que dans les évolutions des diverses économies.

Certains responsables ont fait valoir que rien ne garantissait la pérennité de ces tendances et de cette faible volatilité. En tant que président des réunions sur l’économie mondiale, qui regroupent à Bâle les gouverneurs des banques centrales, j’ai moi-même fait connaître nos positions communes en la matière, en particulier en 2006 et dans la première moitié de 2007. Nous avons aussi déclaré publiquement, bien avant que n’apparaissent les difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, que le secteur privé devait se préparer à une correction des marchés, que nous jugions inévitable. À travers nos appels, nous nous efforcions de faire en sorte que la correction soit aussi ordonnée que possible. Mais l’une des principales raisons de l’impréparation des intervenants privés était inhérente à la vision très répandue selon laquelle l’innovation financière ne devait pas être entravée par la régulation et à la thèse selon laquelle les marchés étaient les mieux à même de juger la situation et pouvaient, le plus souvent, s’autoréguler de façon adéquate.

Les turbulences ont montré à quel point cette attitude a été complaisante et trompeuse. Avec l’apparition des turbulences financières, de nombreuses institutions se sont rendu compte que leurs systèmes de gestion des risques n’étaient pas aussi fiables et robustes qu’elles le croyaient, et qu’ils auraient dû l’être. Et surtout, la liquidité du marché, qui avait été considérée, à tort, comme acquise, a disparu dans de vastes compartiments des marchés de capitaux.

Les modèles opérationnels de la banque d’investissement étaient généralement fondés sur un ratio d’endettement élevé, une comptabilisation sur la base des prix de marché, un niveau élevé de transformation et une relative faiblesse des niveaux de liquidité et des réserves. Ce modèle s’est avéré viable aussi longtemps que les marchés étaient en plein développement et semblaient fonctionner correctement, mais ne donnaient aux banques concernées pas de capacité de résistance aux chocs. Les résultats ont été patents : l’activité de banque d’investissement telle que nous la connaissions a disparu sous nos yeux, l’ensemble des autres établissements bancaires étant eux-mêmes aussi confrontés à de graves tensions.

Les autorités financières, en Europe et ailleurs dans le monde, ont réagi rapidement. Les banques centrales, et, en tout premier lieu, la Banque centrale européenne dès le début des turbulences, ont fourni de la liquidité à court terme, pour éviter les effets de contagion. Elles ont mené des actions concertées au niveau international. L’ensemble des autorités publiques se sont concentrées sur la définition des réformes permettant de remédier aux faiblesses actuelles. Les orientations formulées de façon coordonnée au niveau européen et international, notamment par le Forum sur la stabilité financière, l’Eurogroupe et le Conseil européen ont inspiré la déclaration publiée à l’issue du sommet du G 20. Un système financier mondial requiert des réponses coordonnées au niveau mondial. C’est précisément ce que les autorités publiques ont fait.

En ce qui concerne l’avenir à moyen et long terme, il nous appartient de corriger les importants défauts du système financier mondial. Bien entendu, il faudra prendre garde à ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » en remettant en cause l’économie de marché dans laquelle ce système s’est développé. Elle seule, en effet, à ce jour, s’est montrée capable d’apporter une prospérité durable dans le monde. Aucune autre forme d’organisation de l’économie ne permet d’atteindre un tel niveau d’efficience. Toutefois, notre premier objectif doit être d’améliorer très sensiblement la résilience du système financier. Nous ne pouvons tolérer les faiblesses qui sont apparues au grand jour depuis août 2007 et, plus encore, depuis la mi-septembre 2008. Nous devons tirer tous les enseignements, sans complaisance, de la situation actuelle.

Permettez-moi de tracer quelques pistes de réformes dans trois domaines où le changement est indispensable : la priorité donnée au court terme, la procyclicité et la transparence. Les carences dans ces domaines ont, à mon sens, contribué grandement à créer les conditions de la crise et à en amplifier les effets.

  1. En premier lieu, parmi les intervenants sur les marchés de capitaux (opérateurs, gestionnaires, comités des risques et conseils d’administration), une attention excessive a été accordée depuis longtemps aux profits à court terme, au détriment des résultats à long terme. Il s’en est suivi une prise de risques excessive et, particulièrement, une sous-estimation des risques à faible probabilité liés à l’excès d’endettement et aux trop grands regroupements. Nous devons à présent mettre en place un système de rémunérations des dirigeants plus équilibré et n’incitant pas aux prises de risque excessives, ainsi que des systèmes internes de mesure et de contrôle des risques plus efficaces, qui prennent en compte non seulement la rentabilité à court terme mais aussi la soutenabilité et la solidité financière dans la durée. Les progrès dans ce domaine dépendront largement, outre des mesures qu’adopteront les autorités publiques, de décisions devant être prises par des acteurs privés.

  2. En deuxième lieu, nous devons revoir tous les aspects du cadre réglementaire en vigueur pour veiller à ce qu’il n’amplifie pas le caractère cyclique spontané de l’activité bancaire. Il convient de remédier à un certain nombre de sources potentielles de procyclicité, notamment certains aspects de la comptabilité en « juste valeur », de l’incitation à utiliser les leviers d’endettement, les règles prudentielles en matière de fonds propres et les régimes de provisions. Dans le futur, de nouveaux mécanismes devront être conçus en vue de garantir que les banques constituent des réserves dans les périodes favorables pour amortir le choc lorsque le cycle se retourne. Parmi les mesures possibles, on peut envisager de demander aux banques d’augmenter leurs fonds propres et de renforcer leurs niveaux de liquidité, ou par exemple d’introduire des systèmes de provisions dynamiques leur permettant de constituer une réserve générale disponible en cas de ralentissement. Les économies de marché induisent naturellement des fluctuations. Il appartient aux instances de régulation et de surveillance de faire en sorte que leurs règlements et leurs interventions n’amplifient pas ces mouvements.

  3. En troisième lieu, le niveau croissant de sophistication et de complexité des instruments financiers ne s’est pas accompagné, au cours des décennies écoulées, de progrès équivalents en matière de transparence, ce qui s’est traduit par des lacunes importantes dans l’information des investisseurs et l’éducation financière. Il y a lieu de combler ces lacunes grâce à une meilleure information sur les risques à tous les niveaux, en particulier au sein des institutions et des marchés actuellement non réglementés, mais pouvant – comme l’expérience récente l’a montré – avoir une incidence systémique. La refonte de la régulation financière doit viser, notamment, à mieux refléter le rôle des institutions à fort niveau d’endettement - fonds de capital-investissement, hedge funds et véhicules ad hoc - ainsi que des marchés de dérivés en général, y compris, mais pas exclusivement, les dérivés de crédit. S’agissant de ces derniers, je soutiens, par exemple, l’initiative destinée à améliorer l’infrastructure des marchés de gré à gré grâce à la mise en place d’une compensation par contrepartie centrale pour le marché des credit default swaps (CDS ou « swaps sur défaut »).

Permettez-moi de conclure mon intervention.

Dans la situation particulièrement exigeante que nous connaissons, la rapidité et la portée des décisions prises par les banques centrales en ce qui concerne l’apport de liquidité et les mesures décisives adoptées par les gouvernements et les parlements s’agissant de la recapitalisation du secteur financier et de la fourniture de garanties ont permis d’éviter un effondrement du système financier international. Il ne faut cependant pas sous-estimer la fragilité structurelle actuelle de la finance mondiale et, par voie de conséquence, de l’économie mondiale.

Nous sommes là au cœur du sujet : il nous faut rompre avec le modèle sur lequel l’économie mondiale s’est organisée. Le modèle aujourd’hui obsolète s’appuyait essentiellement sur le concept d’un équilibre à relativement court terme des marchés de capitaux. Le nouveau paradigme que nous devons élaborer doit être construit autour de trois notions fondamentales. En premier lieu, la notion de soutenabilité à moyen et long terme, qui doit nous inciter à faire beaucoup plus rigoureusement la différence entre équilibres stables d’une part, et équilibres instables d’autre part, ces derniers ne devant pas être normalement tolérés. En deuxième lieu, la notion de résilience face aux chocs, en tenant compte que, quel que soit le niveau de soutenabilité d’une situation financière donnée, des chocs imprévisibles peuvent toujours se produire. L’origine de ces chocs peut être économique ou financière, comme le démontrent à suffisance les tensions en cours, mais aussi géopolitique ou liée à des catastrophes naturelles. La résilience est par conséquent essentielle en tant que complément indispensable de la soutenabilité. Enfin, en troisième lieu, la notion d’approche systémique. Le système financier mondial actuel doit reposer sur le bon fonctionnement d’un très grand nombre de facteurs, parmi lesquels : le contrôle prudentiel, les règles comptables, la qualité des audits, la gestion de la liquidité, la gestion des risques, l’évaluation des crédits, etc. Mais cette approche systémique doit comprendre aussi un autre élément fondamental, à savoir la soutenabilité à long terme et la résilience des politiques publiques macroéconomiques – en particulier budgétaires et structurelles -, permettant l’élimination progressive mais résolue des déséquilibres internes et externes qui sont l’une des sources de l’instabilité économique et financière dans le monde.

Un tel nouveau paradigme autour des trois notions de soutenabilité à moyen et long terme, de résilience et d’une approche systémique, est absolument crucial à ce stade pour corriger la fragilité de l’économie de marché qui est présentement observée.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.

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