Options de recherche
Page d’accueil Médias Notes explicatives Recherche et publications Statistiques Politique monétaire L’euro Paiements et marchés Carrières
Suggestions
Trier par

Discours délivré à l'occasion de la réception du prix ‘Vision for Europe’

Intervention de Jean-Claude Trichet, Président de la BCE
Luxembourg, 30 juin 2008

Monsieur le Premier Ministre,

Madame la Vice Présidente de la Chambre des députés,

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre

Monsieur le Gouverneur

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs

Monsieur le Président honoraire de la Fondation

Monsieur le Président de la Fondation

Mesdames et Messieurs

Permettez-moi d’abord de remercier très chaleureusement la Fondation Edmond Israel pour cet événement et de vous faire part du très grand honneur que suscite pour moi la remise de ce prix. Votre fondation œuvre depuis près de 18 ans à la promotion de l’idéal européen sous toutes ses dimensions, culturelle, scientifique, politique et économique. Alors que nous venons de célébrer les 10 ans de la Banque centrale européenne, de l’Eurosystème et du Système européen de banques centrales, je souhaite rendre un vibrant hommage à Edmond Israël, dont la vie personnelle et l’engagement professionnel ont été si étroitement liés aux heures les plus sombres mais aussi aux moments de progrès et d’espoir de notre continent.

Je remercie le Premier Ministre Jean-Claude Juncker pour sa laudatio et la remise de ce prix prestigieux. Cette cérémonie nous donne une nouvelle occasion de nous retrouver, nous qui nous invitons réciproquement si fréquemment : j’ai le plaisir d’être invité par Jean-Claude Juncker aux réunions de l’Eurogroupe et je l’invite, conformément au Traité, à toutes les réunions du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne.

Je voudrais aussi rappeler que je suis dans la période d’une semaine avant la réunion du Conseil des gouverneurs pendant laquelle aucun signal de politique monétaire ne doit être donné par les membres du Conseil des gouverneurs. Rien de ce que je vais dire ne doit être interprété en termes de décisions à venir sur les taux d’intérêt.

Il y a dix ans, le 1er juin 1998, étaient créés la Banque centrale européenne ainsi que le Système européen de banques centrales, le SEBC.

La BCE a été créée par la volonté des démocraties européennes. Sa mission d’assurer la stabilité des prix et son indépendance lui ont été conférées par les citoyens européens sur une base multinationale et multipartisane.

Jean Monnet écrit dans ses Mémoires : « Rien n’est possible sans les hommes. Rien n’est durable sans les Institutions ». La BCE est, à mon avis, une illustration remarquable de la lucidité du fondateur conceptuel de la Communauté : l’édifice institutionnel est solide et a prouvé son efficacité.

Depuis sa création, l’euro a hérité entièrement de la crédibilité et de la confiance qui étaient le privilège des monnaies nationales les plus crédibles avant la création de l’euro. Les taux de marché à moyen et long terme de l’euro se sont situés à un niveau aussi bas que ceux observés auparavant pour les monnaies nationales les plus crédibles. En dépit d’une succession de chocs mondiaux affectant les cours du pétrole et des matières premières, le taux d’inflation annuel moyen s’établit à 2,1 % depuis le 1er janvier 1999. La stabilité des prix à moyen terme est essentielle, non seulement parce qu’elle protège les revenus de nos concitoyens – en particulier les plus vulnérables et les plus démunis – mais aussi parce qu’elle constitue l’une des conditions préalables de la croissance et de la création d’emplois. Depuis l’introduction de l’euro, 15,7 millions d’emplois ont été créés, soit plus d’un million de plus qu’outre-Atlantique dans la même période.

Avec le bénéfice du recul, on peut comprendre un certain scepticisme des observateurs avant la création de l’euro. Les Européens ont entrepris de réaliser ce qui était considéré comme impossible, ce qui n’avait encore jamais été tenté au cours de l’Histoire. Tocqueville a dit : « L’Histoire est une galerie de tableaux dans laquelle il y a peu d’originaux et beaucoup de copies ».

Nos dix premières années ont été une période extrêmement intense pour le Directoire, le Conseil des gouverneurs, la BCE et l’Eurosystème. La motivation remarquable de notre personnel s’explique, à mon avis, par le sentiment et la fierté d’écrire une page d’Histoire. D’Histoire monétaire certainement. Mais plus encore parce que la monnaie unique constitue l’élément le plus avancé de la construction européenne et, à maints égards, elle est le symbole de l’unité européenne.

Mais cet anniversaire ne doit pas nous inciter à verser dans la complaisance. Il nous exhorte à la poursuite des efforts car les défis auxquels l’Union économique et monétaire devra faire face dans l’avenir – au cours des dix ou vingt prochaines années – sont nombreux et exigeants.

Il y a d’abord les défis de l’Union monétaire elle-même. Comme les autres banques centrales du monde industrialisé, la BCE doit faire face à trois défis majeurs pour la politique monétaire : la mondialisation dans toutes ses dimensions, y compris les transformations de la finance mondiale, l’accélération des progrès technologiques et le vieillissement démographique.

La mondialisation requiert l’attention des banques centrales par son effet sur les prix relatifs de biens et services. En premier lieu, le développement accéléré des échanges a contribué à la baisse des prix relatifs des produits manufacturés, provenant de manière croissante des pays émergents. En second lieu, la vive croissance des économies émergentes suscite une forte demande de matières premières, dont les prix ont considérablement augmenté ; de même, le dynamisme de ces pays et les changements dans les habitudes alimentaires contribuent, avec d’autres facteurs, à une hausse significative des prix des produits alimentaires. Au total, la combinaison de ces deux tendances opposées qui se traduisait par un léger effet désinflationniste jusqu’à une période récente produit maintenant un effet inflationniste net.

La mondialisation affecte également le système financier international et en contribuant à sa transformation structurelle, crée de nouveaux défis pour la stabilité financière, dont la préservation est une mission importante des banques centrales.

Le second défi commun à toutes les banques centrales réside dans les progrès rapides de la science et de la technologie, et de leurs effets sur la productivité, la croissance potentielle et l’inflation. Comme dans le cas de la globalisation, les effets du progrès scientifique et technologique sur la productivité et donc l’inflation sont très complexes et demandent une grande acuité dans la recherche analytique.

Le troisième défi consiste dans le vieillissement démographique, qui produit, toutes choses égales d’ailleurs, à la fois un déclin de l’épargne et une baisse de l’investissement. De l’effet net de ces deux facteurs dépend l’évolution du taux d’intérêt réel d’équilibre dont la politique monétaire analyse les implications.

Outre ces trois défis majeurs, communs à toutes les banques centrales, la BCE et l’Eurosystème doivent faire face à deux défis importants qui leur sont propres.

Le premier concerne l’approfondissement de l’intégration économique et financière au niveau d’un continent avec la réalisation progressive d’une économie unique disposant d’une monnaie unique ; nous sommes la seule banque centrale qui contribue très activement à une transformation structurelle en profondeur de sa propre économie. C’est un défi permanent pour la politique monétaire puisqu’il faut en permanence anticiper les transformations structurelles à venir.

Le deuxième défi a trait à l’élargissement : nous sommes appelés à élargir progressivement la zone euro pour lui donner la dimension de l’Union européenne dans son ensemble ; nous sommes également la seule banque centrale à poursuivre une telle entreprise. Lorsque nous avons créé l’euro, nous étions onze pays. Le 1er janvier prochain nous serons seize pays. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils sont à la fois l’illustration du remarquable succès historique de l’euro et la marque du défi de l’élargissement.

Le volet « Union économique » de l’Union économique et monétaire a lui-même ses propres défis, comme le Premier Ministre du Luxembourg l’a toujours souligné avec tant d’éloquence. J’aimerais mentionner ici trois défis majeurs. Tout d’abord, l’application pleine et entière du Pacte de stabilité et de croissance, qui est un élément essentiel de l’UEM en l’absence d’un budget fédéral européen. Au-delà de l’objectif d’équilibre budgétaire à moyen terme, n’oublions pas que les finances publiques devront faire face au défi considérable que constitue le vieillissement démographique pour la viabilité et la solvabilité des systèmes de retraite.

Second défi pour l’union économique, la poursuite résolue des réformes structurelles qui sont décisives pour accroître le potentiel de croissance à long terme de l’Europe. Nos efforts doivent porter en particulier dans trois directions : augmenter le taux d’emploi en réduisant les rigidités du marché du travail, renforcer la concurrence au sein de l’économie européenne dans tous les secteurs et notamment dans le secteur des services et favoriser un environnement propice à l’innovation.

Troisième défi, le suivi attentif des indicateurs nationaux de compétitivité, y compris les coûts unitaires de production, de manière à ne pas surcharger les ajustements au sein de la zone euro reposant sur le canal de la compétitivité, du fait de différences trop importantes entre le niveau des compétitivités relatives.

Voilà beaucoup de défis pour les vingt prochaines années. Des défis pour l’Union monétaire, donc pour la Banque centrale européenne et pour l’équipe monétaire de l’Europe, l’Eurosystème. Et aussi des défis pour l’Union économique, donc pour l’Eurogroupe, collège des gouvernements membres de la zone euro que préside remarquablement le Premier Ministre du Luxembourg, et aussi pour la Commission européenne. Vus dans une perspective historique, ils constituent les défis de la « nouvelle frontière » de l’Union économique et monétaire.

Aujourd’hui, plus d’un demi siècle après le lancement de l’idée européenne, et dix ans après sa naissance, l’Union économique et monétaire contribue à apporter stabilité et prospérité à notre continent dans un environnement mondial en changement très rapide. Dans 20 ans, quand la BCE et l’euro auront 30 ans, le centre de gravité de l’économie planétaire se sera déplacé. Le Brésil, la Russie, le Mexique seront des partenaires très importants. La Chine et l’Inde auront vu leur produit intérieur brut multiplié par un facteur compris entre 4 et 6 et seront en compétition avec les Etats-Unis et l’Union européenne pour la place de première économie de la planète dans la seconde moitié de notre siècle. Il est peu douteux, dans ce monde profondément renouvelé, que les européens considèrent leur Union économique et monétaire comme encore plus justifiée qu’au moment de sa création et la pensée des pères fondateurs encore plus visionnaire.

Je vous remercie de votre attention.

CONTACT

Banque centrale européenne

Direction générale Communication

Reproduction autorisée en citant la source

Contacts médias