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La stabilité financière

Intervention de M. Jean-Claude Trichet Président de la Banque centrale européenne, Forum Financier BelgeBruxelles, le 26 novembre 2003

Introduction

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d'être à Bruxelles aujourd'hui à l'occasion de cette réunion du Forum financier belge. Je remercie chaleureusement le gouverneur Quaden de son invitation à venir partager quelques idées dans le cadre de ce prestigieux forum. Le thème de mon intervention est la stabilité financière, sujet vaste et complexe s'il en est.

J'aimerais en fait porter mon attention sur les conséquences probables des profondes mutations en cours dans le secteur financier sur la stabilité financière et la politique de l'Eurosystème en ce domaine. La raison principale pour laquelle je souhaite aborder cette question, et qui explique pourquoi nous y sommes attentifs à la Banque centrale européenne, est que la stabilité du secteur bancaire, et du système financier dans son ensemble, revêt une importance cruciale pour l'Eurosystème, comme pour toute banque centrale. La stabilité financière est la condition sine qua non du succès de la conduite de la politique monétaire et de la pérennité des systèmes de paiements, deux responsabilités majeures d'une banque centrale.

Le secteur financier est en constante évolution. J'aborderai, si vous le voulez bien, trois aspects spécifiques de cette évolution : l'importance croissante des marchés financiers en général et de la volatilité des marchés en particulier, l'innovation financière et le processus actuellement à l'œuvre de renforcement de l'intégration des différents systèmes financiers nationaux.

Pour analyser les principaux défis dans le domaine du maintien de la stabilité financière, je crois utile de définir un socle de réflexion en s'interrogeant sur ce qui distingue le « monde réel » du monde idéal, « sans tensions », dépeint dans les manuels universitaires. Ce socle permet de structurer le raisonnement dans la mesure où le monde idéal est, par nature, exempt de toute instabilité financière. Par contraste, la plupart des préoccupations relatives à la stabilité financière proviennent du fait que les marchés financiers, dans la réalité, sont soumis à des tensions ou, en d'autres termes, comportent des imperfections.

Une de ces tensions qui me semble fondamentale est liée à l'imperfection des informations dont disposent très souvent les opérateurs des marchés financiers. Lorsque les informations disponibles ne sont pas optimales – ou lorsque les marchés ne sont pas complètement transparents – les décisions des investisseurs peuvent faire l'objet de réexamens constants, ce qui induit inévitablement une volatilité des prix de marché. Il n'en résulte toutefois pas nécessairement une menace pour la stabilité financière. Au contraire, l'existence même d'un certain niveau de volatilité indique que les marchés remplissent la fonction qui est la leur, à savoir qu'ils constituent un mécanisme d'échange efficace entre les agents économiques. Cela étant, certains épisodes récents d'extrême volatilité ont attiré notre attention sur le besoin de définir plus clairement la limite entre la volatilité « normale » et la volatilité que l'on pourrait qualifier de « néfaste ».

La deuxième source de tensions tient de ce que nous ne disposons pas, contrairement à l'hypothèse formulée par la théorie du monde idéal, de marchés complets. Le développement rapide du processus d'innovation financière entraîne la création de nouveaux instruments, voire souvent de marchés totalement nouveaux. De cette manière, nous progressons sur la voie de marchés plus complets et bénéficions de nouvelles solutions face aux défauts des instruments ou des marchés plus traditionnels. Si ce processus renforce nettement l'efficience du système financier, de nouveaux risques peuvent également voir le jour. L'émergence d'instruments de transfert de risques de crédit entre des banques et d'autres institutions financières en est une illustration récente éclatante. Les activités et les profils de risque des institutions financières s'en trouvent modifiés dans la mesure où les risques de crédit étaient essentiellement l'apanage des banques auparavant.

On peut considérer que l'absence d'un cadre international de prévention et de résolution des crises constitue un troisième type de tensions. Étant donné que des gouvernements et des systèmes judiciaires supranationaux n'existent pas, l'indépendance nationale s'accompagne de problèmes de mise en œuvre pratique, ce qui peut représenter un obstacle à la résolution des crises à l'échelle mondiale. Avec l'inévitable mouvement d'intégration des systèmes financiers, les risques découlant de l'absence d'un cadre commun s'accroissent naturellement. La communauté internationale mène des efforts substantiels de coordination pour surmonter cette source de tensions.

La situation de l'Europe est unique, car l'intégration transfrontière y est bien plus développée que dans n'importe quelle autre région du globe. La stabilité financière est d'ailleurs une notion de plus en plus européenne, à mesure que s'estompe sa pertinence nationale. À cet égard, la monnaie unique, le Système européen de banques centrales et le marché unique de réserves liquides - c'est-à-dire le marché monétaire en euros - sont les fondements d'un système financier européen aux ramifications bien plus denses qu'on ne le reconnaît généralement. Des efforts de coopération sont donc entrepris au niveau des banques centrales et des autorités de surveillance pour surmonter les difficultés liées au caractère essentiellement national des compétences en matière de contrôle et de surveillance.

La BCE, et l'Eurosystème dans son ensemble, développent également leurs activités dans le domaine de la stabilité financière européenne. Pour une part, ces activités sont publiques, grâce aux articles et rapports publiés régulièrement. Mais de nombreuses autres activités sont plus discrètes, qu'elles prennent la forme de discussions au sein du Conseil des gouverneurs, du Conseil général ou du Comité de la surveillance bancaire du SEBC ou qu'elles se déroulent à travers notre contribution régulière au renforcement de la coopération entre les autorités européennes en charge de ces questions ou par le biais de notre participation aux débats internationaux.

Si vous le permettez, je souhaiterais articuler la suite de mon intervention autour des trois thèmes que j'ai indiqués au début de mon exposé. Je me pencherai tout d'abord sur les enseignements que l'on peut tirer des crises vécues dans le passé en termes d'acuité des tensions sur les marchés. Puis j'évoquerai les adaptations du cadre réglementaire, qui ont été ou sont actuellement mises en place en vue de préserver la stabilité financière.

Les trois thèmes et la stabilité financière

Les crises traversées par le passé nous fournissent des éléments quant aux préoccupations qui pourraient être les nôtres à l'avenir en matière de stabilité financière. Il ne s'agit pas, cependant, au vu de la rapide mutation du système financier, de remonter à un passé trop lointain. De nombreuses crises éclatent en outre souvent sans que l'on ait pu les voir se développer et nous devons être constamment préparés à de possibles surprises.

L'importance croissante des marchés financiers et de la volatilité

J'en viens à mon premier thème : l'importance croissante des marchés. Cette évolution signifie que les problèmes rencontrés sur les marchés financiers pourraient faire peser de plus en plus de menaces sur la stabilité financière. Comme je l'ai indiqué, des revirements soudains et profonds des anticipations quant à la valeur d'un actif, combinés à une volatilité accrue, pourraient représenter une source fondamentale d'instabilité financière.

En Europe, la plupart des périodes passées d'instabilité financière ont été liées à des pertes sur prêts traditionnels subies par les banques. Toutefois, les marchés financiers européens se sont développés à un rythme très élevé au cours des quinze dernières années. Bien sûr, le financement de marché reste sensiblement inférieur en Europe à ce qu'il est aux États-Unis, mais l'écart semble se résorber rapidement. Les investisseurs ont accompagné la croissance des marchés et l'accroissement de leur liquidité, auxquels l'euro n'a pas été étranger, en diminuant leurs dépôts bancaires au profit d'investissements directs et d'OPCVM.

Les corrections de prix importantes et brusques peuvent ne pas avoir d'incidences systémiques, mais les institutions financières ayant eu recours à l'endettement pour acquérir leurs positions sur le marché peuvent être directement affectées. La crise russe survenue en août 1998 illustre très bien cette réalité : des marchés développés ont eu à subir les conséquences de positions que des investisseurs avaient prises par la voie d'un lourd endettement en Russie et dans d'autres économies émergentes. Le fonds spéculatif LTCM présentait un profil de risque identique, caractérisé par un fort endettement. Avant le sauvetage orchestré par les banques privées, avec l'aide de la Réserve fédérale américaine, la liquidité s'est raréfiée et les prix sur de nombreux marchés ont atteint des niveaux extrêmement bas. Un élément supplémentaire ayant constitué une menace pour la stabilité du système financier mondial a été que pratiquement l'ensemble des investisseurs en bons du Trésor, eux-mêmes endettés, détenaient des positions similaires, y compris des institutions financières de tout premier plan.

Les risques directs des banques elles-mêmes peuvent être un facteur important d'instabilité financière en période de volatilité du marché financier. Par ailleurs, les banques peuvent être fortement engagées vis-à-vis d'institutions financières non bancaires qui sombrent sous l'effet des risques de marché. L'affaire de la banque Barings, en 1995, est un exemple du premier scénario, tandis que celle du fonds LTCM illustre le second.

À mon sens, l'ampleur d'une crise systémique peut dépendre de l'importance de l'écart du prix des actifs par rapport aux fondamentaux. Il convient dès lors de s'interroger en premier lieu sur les raisons de l'apparition même des bulles spéculatives. Des formes de « comportement moutonnier » ou d'excès dans les anticipations des investisseurs peuvent en être à l'origine, ou les amplifier, dans la mesure où des groupes d'investisseurs calquent leur stratégie sur celles des principales institutions. Les bulles spéculatives peuvent également être nourries par un manque de publications appropriées, des conflits d'intérêts et des opérations ou stratégies déstabilisantes.

Lorsque les bulles « éclatent », les stratégies d'assurance de portefeuille peuvent, en cas de chute des cours ou de couverture dynamique, renforcer la spirale baissière. En particulier, lors des épisodes d'instabilité financière sur les marchés d'actions, comme le krach boursier de 1987, la vague initiale de cession des contrats à terme sur actions semble s'être traduite par une accélération de la chute des cours. On s'interroge toujours, en revanche, sur le rôle qu'ont joué des instruments comme l'assurance de portefeuille ou les règles de déclenchement automatique de transactions dans l'accroissement du niveau de risque financier global.

L'observation selon laquelle les spirales baissières des cours peuvent être amplifiées par les institutions participant à la vague de cessions lors du krach, entraînant des effets de contagion entre marchés et pays, est moins controversée. Les crises russe et du fonds LTCM démontrent notamment l'importance du rôle de la liquidité du marché comme canal potentiel de propagation des crises. En effet, les baisses des prix de marché induites par les retraits de liquidité peuvent être synonymes de pertes pour de nombreux opérateurs.

Pour résumer les leçons du passé, il semble que la volatilité en soi ne constitue pas nécessairement une menace pour la stabilité financière. D'autres éléments sont nécessaires pour qu'un problème sérieux de liquidité surgisse. L'un de ces éléments fondamentaux est le profil de risque caractérisant les banques et les autres institutions financières, car il peut s'agir là du canal par lequel le fonctionnement du système financier dans son ensemble serait mis en danger. Cette thèse est étayée par les phases récentes de volatilité des marchés, fin 2002-début 2003, lorsque la série d'ajustements substantiels opérés sur les marchés a généralement été gérée de manière ordonnée par les institutions financières mondiales.

Le développement de l'innovation financière

Je voudrais maintenant aborder le deuxième thème, à savoir les implications du développement de l'innovation financière. De fait, le caractère « non systémique » des corrections qu'ont subies récemment les marchés boursiers pourrait être attribuable, pour une part, à la contribution importante des innovations financières à une distribution plus équilibrée des risques. Toutefois, certaines préoccupations se sont fait jour en ce qui concerne, par exemple, la titrisation et les techniques de transfert de risque. Du point de vue des autorités publiques, ces préoccupations sont liées particulièrement au manque de transparence concernant l'identité des parties exposées au risque en dernier recours et la gestion appropriée des risques par les institutions effectuant des opérations sur de tels instruments.

En particulier, la mise en œuvre des innovations financières peut se révéler problématique lorsque leur comportement n'a pas encore été testé dans le contexte d'une situation difficile sur le marché. Comme tout nouvel instrument, les instruments de transfert du risque de crédit apparus au cours des dernières années ne se prêtent pas à un calcul de probabilité fondé sur des données historiques. Dès lors, il n'est pas toujours possible de déterminer avec précision le prix du risque. Le problème lié à des données incomplètes s'est déjà posé lors de la mise en œuvre de modèles de « perte maximale » de type value at risk (valeur en risque) dans le cadre de la gestion des risques par les fonds spéculatifs avant la crise russe et la faillite du fonds LTCM. Ces faits pourraient être attribuables à la compréhension imparfaite qu'ont les opérateurs de marché de la nature des risques encourus.

Permettez-moi de vous livrer quelques réflexions sur les instruments de transfert du risque de crédit. Ces derniers permettent aux banques de céder leurs risques de crédit, ce processus entraînant également une modification du profil de risque des autres institutions financières, notamment des compagnies d'assurances. Par conséquent, le processus d'innovation financière a essentiellement pour résultat de transformer les risques traditionnels des institutions financières.

En outre, ces évolutions compromettent le contrôle efficace des institutions financières dans la mesure où il est de plus en plus difficile d'obtenir des informations adéquates permettant de suivre les expositions aux risques complexes et susceptibles de changer rapidement. En fait, le processus d'innovation financière a nécessité une révision de l'approche traditionnelle en matière de surveillance prudentielle des banques et des autres institutions financières. De plus, il faut impérativement mettre l'accent sur l'efficacité des systèmes de gestion des risques mis en œuvre par les institutions financières afin de saisir la complexité de leurs activités.

L'intégration des marchés financiers européens et mondiaux

J'en viens maintenant au troisième thème de mon exposé. L'intégration croissante des systèmes financiers nationaux constitue un enjeu particulier pour l'Union européenne et la zone euro, où le processus d'intégration se trouve à un stade avancé, même s'il n'est pas encore parachevé. L'intégration et l'intensification des flux de financement internationaux sont deux questions revêtant une dimension mondiale. En particulier, les crises financières survenues récemment dans certaines économies émergentes risquaient, à tout le moins, d'avoir des effets de contagion importants.

Ces risques pesant sur la stabilité financière pourraient être également liés à la complexité grandissante du financement des économies émergentes ainsi qu'aux problèmes de coordination connexes qui se posent lorsqu'il s'agit de gérer de manière ordonnée une situation difficile. Avec un nombre de parties et d'instruments beaucoup plus important, il est inévitable que la coordination devienne un problème plus pressant que par le passé, lorsque quelques grandes banques des pays industrialisés pouvaient parvenir à un accord avec l'émetteur sur les modalités du remboursement. En raison des structures de financement plus sophistiquées et de l'utilisation croissante des titres de créance, la question de l'égalité entre les créanciers devient également plus complexe lors de la restructuration de la dette.

Le cadre réglementaire visant à préserver la stabilité financière

J'aimerais maintenant passer en revue les actions des autorités face aux préoccupations suscitées par les évolutions des marchés que je viens de décrire. Cette analyse s'articulera autour de trois thèmes : l'importance de la transparence pour surmonter les problèmes liés à l'absence d'information, les réponses à l'innovation financière et, enfin, l'intégration croissante et les risques de propagation des crises à l'échelle internationale.

Les réactions face au manque d'information

Les insuffisances en matière d'information, mises en évidence par les récentes phases de turbulences sur les marchés, portent essentiellement sur le caractère incomplet et hétérogène des informations publiées par les sociétés cotées. Selon moi, harmoniser et améliorer la disponibilité des informations sont deux défis majeurs. L'objectif ultime est de garantir des décisions d'investissement rationnelles et un calcul précis du risque de crédit. Des avancées importantes ont été réalisées au niveau mondial et dans le Plan d'action pour les services financiers adopté par la Commission européenne en vue d'accroître le degré de transparence sur lequel s'appuie le fonctionnement des marchés financiers. Ces efforts se sont intensifiés au lendemain des défaillances d'entreprises de renom aux États-Unis, lesquelles ont révélé dans quelle mesure il était possible de tromper les investisseurs en manipulant les comptes et à travers l'information diffusée.

L'entrée en vigueur de nouvelles normes comptables constitue peut-être la reforme la plus spectaculaire – et représente aussi un défi majeur, notamment pour les entreprises et les banques. L'International Accounting Standard Board et le Federal Accounting Standard Board poursuivent leurs efforts, améliorant et harmonisant ces référentiels comptables des deux côtés de l'Atlantique. De fait, des normes harmonisées de grande qualité pourraient apporter une contribution significative à l'intégration et à l'efficience des marchés financiers – y compris en Europe où les différences entre les règles comptables pourraient affecter la comparabilité internationale des informations comptables diffusées par les entreprises.

En Europe, justement, la refonte des normes IAS 32 et 39 constitue une tentative en vue d'améliorer le caractère exhaustif des obligations des banques en matière de diffusion d'informations. Ces dernières années, leurs expositions aux risques se sont déplacées vers des instruments qui ne sont pas, jusqu'à présent, comptabilisés en tant qu'actifs. L'aspect peut-être le plus important de cette évolution est le recours accru, par les institutions financières, aux contrats sur produits dérivés, ce qui s'est traduit par des mésalignements croissants entre les informations contenues dans les états financiers et les profils de risque effectifs des entités déclarantes. Les nouvelles normes comptables, qui doivent être parachevées l'année prochaine, introduiront une définition des instruments financiers. Celle-ci couvrira également les produits dérivés, qui devront être enregistrés au bilan. La qualité et la cohérence de l'information s'en trouveront améliorées, reflétant plus fidèlement le nouvel environnement financier.

Toutefois, le dispositif qui se met en place n'est pas encore satisfaisant, tant s'en faut. Les normes comptables révisées comporteront très probablement une option permettant aux banques d'évaluer à la juste valeur tout élément de l'actif ou du passif. Cela signifie que la valorisation des instruments pour lesquels on ne dispose pas d'un prix de marché pourrait être fondée sur une estimation de la juste valeur. Cette approche suscite de très sérieuses inquiétudes. Elle pourrait en effet compromettre la comparabilité des états financiers, dans la mesure où des valeurs différentes pourraient être appliquée à une même transaction par des institutions financières concurrentes. En outre, si la fiabilité de la valorisation d'actifs non négociés est limitée, la qualité de l'information contenue dans les états financiers est appelée à se dégrader, de sorte que des déséquilibres pourraient apparaître sans qu'il soit possible d'activer des mécanismes correcteurs.

Notre principal sujet de préoccupation concerne l'incidence éventuelle sur la stabilité financière. Des études empiriques menées récemment par la BCE montrent que l'utilisation étendue de la comptabilisation en juste valeur pourrait accroître sensiblement la volatilité des bilans bancaires. En outre, les effets de valorisation sont susceptibles de réduire la capacité des institutions financières à réagir à des chocs défavorables, renforçant ainsi le caractère procyclique des comportements. Ces préoccupations sont sérieuses et incitent à faire preuve d'une grande prudence dans la refonte des normes comptables.

Des informations de marché rapides et précises sont également utiles du point de vue de la surveillance bancaire. De fait, les autorités de surveillance considèrent de plus en plus le marché comme un outil disciplinant pour les institutions financières – venant en renfort de leur propres activités. À l'avenir, les marchés financiers sont susceptibles de jouer un rôle plus important dans la panoplie des moyens d'action à la disposition des autorités de surveillance même s'ils viennent à traverser des périodes de volatilité accrue. En particulier, la réforme du dispositif d'adéquation des fonds propres des banques (Bâle II) introduira la discipline de marché en tant que pilier indépendant du dispositif.

Les réponses à l'innovation financière

Le processus d'innovation financière, auquel j'ai fait allusion précédemment, recèle deux défis majeurs pour les autorités. En premier lieu, le cadre de surveillance requiert une mise à jour constante. En second lieu, le cadre législatif doit répondre avec efficacité et rapidité aux défis liés aux évolutions sur les marchés.

En ce qui concerne les banques, le premier accord de Bâle sur les fonds propres adopté fin 1988 a parfaitement répondu à son objectif, qui était de relever les niveaux de fonds propres des banques et de rendre ces dernières plus sûres. Toutefois, face à l'innovation financière, et en particulier au mouvement de titrisation des actifs, Bâle I était dépassé. Il était aisé de se soustraire à ses règles. Dès lors, la nécessité de réformer l'accord existant est communément admise et les autorités de surveillance œuvrent à l'élaboration du nouvel accord dans le cadre d'une étroite consultation avec le secteur privé.

Le nouvel accord de Bâle (Bâle II) vise à aligner plus étroitement les exigences de fonds propres sur les risques économiques réels que les banques encourent sur leurs portefeuilles et à offrir un large éventail d'options et d'approches pour répondre à la complexité accrue des instruments financiers. Fondamentalement, Bâle II réalise cet objectif par un recours accru aux modèles internes des banques dans le cadre du processus de surveillance. Il en résulte – et c'est là un aspect important du dispositif – que les banques sont contraintes d'améliorer leurs systèmes de gestion des risques. Des améliorations sont déjà perceptibles. Pour moi, il est clair que des efforts accrus en matière de contrôle prudentiel, allant dans le même sens que ceux entrepris dans le secteur bancaire, sont sans doute nécessaires dans les autres secteurs de la sphère financière, notamment dans l'assurance.

Dès le début de l'élaboration du nouvel accord de Bâle et la mise en œuvre du dispositif au sein de l'Union européenne, la BCE a attiré l'attention sur les implications macroprudentielles et l'éventualité d'un renforcement du caractère procyclique de certaines dispositions. Lorsque le capital d'une banque repose largement sur le risque et que celui-ci s'accroît en phase de récession, les conséquences macroéconomiques peuvent se concrétiser par une diminution procyclique de la capacité de prêt des banques. Il a été dûment tenu compte de ces préoccupations dans les propositions révisées soumises à consultation par le Comité de Bâle et la Commission européenne. Les préoccupations concernant la procyclicité se sont sensiblement atténuées et un bon équilibre a été trouvé entre la sensibilité au risque et la stabilité macroéconomique. Bien évidemment, ces aspects devront être pris en considération lors de la mise en œuvre du nouveau dispositif.

Réponses apportées au renforcement de l'intégration

Permettez-moi, à présent, d'évoquer les défis résultant de l'intégration toujours plus grande des marchés financiers. Je traiterai de quelques questions pertinentes au niveau européen avant d'aborder les questions internationales.

Questions relatives à l'Union européenne et à la zone euro

Le principal défi à relever par l'Union européenne consiste à améliorer l'efficacité du processus réglementaire déjà complexe pour répondre au rythme d'innovation soutenu des marchés et renforcer la convergence réglementaire entre pays ; ceci doit permettre de soutenir l'intégration et d'alléger le fardeau pesant sur les institutions financières opérant dans plusieurs pays. Tel sera précisément l'objectif de l'approche dite « Lamfalussy », dans le cadre de laquelle une certaine expérience a d'ores et déjà été acquise en matière de régulation des marchés de valeurs mobilières ; cette approche améliorera également la situation dans le domaine de la supervision des secteurs de la banque et de l'assurance.

Le renforcement de l'intégration des marchés observé au sein de l'Union a rendu nécessaire une coopération accrue des autorités de surveillance ainsi qu'un contrôle commun de la stabilité financière. Au niveau microprudentiel, la coopération s'accélère progressivement grâce à l'« approche Lamfalussy » et la mise en place de comités dits de niveau trois au sein desquels les autorités de surveillance, exposant leurs points de vue, visent principalement à assurer une mise en œuvre cohérente du cadre juridique existant.

Une coopération adéquate entre les banques centrales et les autorités de surveillance ainsi qu'un garde-fou en matière de prévention des crises sont indispensables. Le Comité de la surveillance bancaire du SEBC constitue depuis longtemps l'interface entre les banques centrales de l'Union européenne et les autorités de contrôle bancaire. En associant la perspective macroprudentielle des banques centrales, qui sont les mieux placées pour suivre les évolutions en cours dans le système financier, à l'approche microprudentielle - dont l'importance n'est pas moindre - adoptée par les autorités de contrôle, ce Comité est en mesure de procéder à une évaluation commune et exhaustive de la stabilité du secteur bancaire de l'Union.

Je voudrais également souligner l'importance de disposer de mécanismes appropriés au niveau de l'Union européenne pour la gestion des crises financières. De grands progrès ont été accomplis suite aux recommandations du rapport Brouwer. En particulier, le Comité de la surveillance bancaire est parvenu à la conclusion d'un Protocole d'accord sur la coopération et l'échange d'informations dans les situations de gestion de crise entre l'ensemble des banques centrales et les autorités de contrôle bancaire de l'Union.

Questions internationales

Au niveau international, de nombreux exemples montrent à quel point l'absence d'un cadre juridique commun entrave la gestion et la résolution efficaces des crises. Cependant, un cadre juridique commun ne constitue qu'un élément important nécessaire au bon fonctionnement du système financier international. Un mécanisme de mise en œuvre concrète en serait un autre mais celui-ci est sans doute inconcevable dans le contexte d'États souverains. De fait, les aménagements contractuels visent de plus en plus à pallier l'absence d'un cadre réglementaire et de mise en œuvre commun.

Afin de remédier aux problèmes de coordination, la communauté internationale concentre ses efforts sur la prévention et la résolution des crises. En ce qui concerne la prévention des crises, la définition de normes et de codes internationaux constitue une voie prometteuse. Les mesures proposées en vue d'une meilleure résolution des crises ont couvert les trois aspects concernés : l'ajustement au niveau national, le financement public ainsi que la participation du secteur privé. Bien que ces trois éléments soient essentiels à la résolution satisfaisante d'une crise, permettez-moi ici de m'attarder sur le dernier.

S'agissant de la participation du secteur privé, de nombreuses propositions ont été émises, parmi lesquelles le mécanisme de restructuration de la dette souveraine, ou SDRM, proposé par le FMI. Ce mécanisme juridiquement contraignant reposait sur l'idée selon laquelle certains éléments des régimes de faillite applicables au niveau national à des entités du secteur privé ou public pourraient être utilisés au niveau des États souverains. L'idée d'établir un SDRM est mise de côté pour le moment, notamment en raison des préoccupations concernant les effets négatifs éventuels sur le coût du crédit.

Une deuxième proposition, que le secteur privé et de nombreux émetteurs souverains accueillent avec beaucoup d'enthousiasme, repose sur le recours à des clauses d'action collective, ou CAC. Ces clauses, qui facilitent la coordination entre les créanciers grâce à l'établissement de règles claires pour la conclusion d'un accord contraignant sur une proposition en matière de restructuration de dette, deviendraient une caractéristique normale de toutes les nouvelles émissions obligataires internationales. Les CAC offrent l'avantage de s'intégrer aisément dans les pratiques du marché et de présenter une structure simple. Elles constituent ainsi un puissant outil de coordination pour les créanciers détenant des titres d'une même émission. En revanche, il n'est pas aussi certain que ces clauses permettent de résoudre les problèmes de coordination au niveau de l'encours total de la dette d'un pays.

Enfin, une troisième proposition - dont j'avais lancé l'idée moi-même lors des réunions annuelles du FMI et de la Banque Mondiale à Washington en septembre 2002 - est actuellement à l'étude sous l'égide du Groupe des Vingt. Elle consiste à établir un Code dit de bonne conduite, qui définirait les meilleures pratiques et orientations à suivre par les emprunteurs, les bailleurs de fonds et la communauté internationale. Le Groupe des Vingt est composé des grands pays industrialisés du G-7 et des principales économies émergentes. Y participent également un représentant du pays qui préside l'Union européenne, la BCE, le FMI et la Banque mondiale ainsi que les présidents du CMFI et du Comité du développement.

Malgré leur caractère non contraignant, ces bonnes pratiques pourraient améliorer le processus de résolution des crises. En particulier, le Code définirait des principes généraux auxquels devraient se conformer l'ensemble des parties prenantes et fournirait une « boîte à outils » comprenant des instruments et des bonnes pratiques agréées à utiliser par les parties intéressées selon les circonstances. Le Code comporterait également les CAC dans la gamme d'instruments recommandés. Lors de sa réunion du mois d'octobre, le Groupe des Vingt a décidé d'encourager un groupe d'émetteurs et d'opérateurs de marché à approfondir la discussion.

Conclusion

Permettez-moi de conclure. Les questions que j'ai évoquées aujourd'hui, suscitées par l'évolution rapide du système financier, sont très complexes et exigent beaucoup de la part des autorités publiques. J'espère avoir pu démontrer que certains éléments de réponse que les autorités se doivent d'apporter sont très encourageants, alors que d'autres nécessiteront un regain d'efforts. J'ai souhaité en outre mettre suffisamment l'accent sur les questions européennes et mettre en relief la situation particulière de la zone euro et le rôle joué par la BCE et l'Eurosystème dans le renforcement de la stabilité financière.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.

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